• Chapitre 9

    Partie II

     

    Déjà à 8 ans, Meiko, fille de la chef cuisinière, travaillait dur au château de Miginnie. En cette sombre période, tout le monde au château, aussi bien les nobles que le personnel, était en émoi suite au décès récent de la reine Dalya. Tout le monde parlait à voix basse, les visages étaient tirés et tristes. L’inquiétude et l’incertitude planait. En effet, personne ne savait ce qu’il était advenu de l’enfant que portait la reine. Le roi ne faisait aucune annonce, ce qui aggravait les craintes, et la rumeur courrait que l’enfant était mourant, si il n’était pas déjà mort en même temps que sa mère.

    Meiko, attristée par le décès de sa reine sans en comprendre encore tout le sens, travaillait le plus calmement possible pour ne pas troubler le deuil des adultes qui l’entouraient. Plusieurs paires de drap dans les bras, elle prit un passage étroit réservé aux domestiques qu’elle savait rarement emprunté. Tandis qu’elle progressait, des sanglots attirèrent son attention. Elle s’arrêta pour tendre l’oreille. Les sanglots semblaient lointain, elle les percevait faiblement. Elle marcha en direction de ces pleurs, déjà curieuse à son âge. Elle prit un passage entre les murs complètement abandonné, ne menant à aucune porte à sa connaissance. Le sol était poussiéreux et des toiles d’araignées freinaient sa progression, de plus, l’obscurité régnait dans ce passage oublié. Elle bifurqua dans un autre passage étroit. Meiko adorait explorer ces couloirs anciens, qu’elle considérait comme des passages secrets. Elle colla son oreille contre le mur. Les sanglots étaient tout proches. De la lumière filtrait à ses pieds depuis l’autre côté du mur, et elle s’accroupit pour y jeter un coup d’oeil. Elle aperçut alors une forme rectangulaire qu’elle tâta de ses mains. Un déclic se produisit, et un minuscule passage pas plus haut qu’un demi-mètre se libéra. Meiko décala le pan de mur et s’y engouffra. Elle se trouvait à présent dans une chambre luxueuse. Il s’agissait probablement d’une ancienne sortie de secours pour une personne importante. Les domestiques connaissaient plusieurs de ces passages qui avaient été fort utiles lors d’une grande guerre il y a plus de cent ans, mais celui-ci avait dû être oublié et Meiko se sentait surexcitée de l’avoir découvert. Elle aperçut la femme qui pleurait bruyamment au fond de la pièce, assise sur une chaise près de la fenêtre. Elle serrait quelque chose dans ses bras. Une autre femme observait l’intérieur d’un berceau. Restant à quatre pattes pour ne pas se faire repérer, Meiko alla se cacher derrière un fauteuil tout proche. Elle observa la femme près du berceau, et elle se rendit compte qu’elle tenait un bébé dans ses bras. La femme s’éloigna du berceau, pour s’approcher de la femme qui pleurait.

    - Je sais qu’il est difficile de perdre un enfant, Mizki. Allons, lâche-le, tu dois l’accepter.

    Meiko écoutait attentivement. Mizki était la meilleure amie de la reine, il était connu qu’elle avait accouché quelques jours seulement avant la souveraine.

    - Tu ne comprends pas, Inda, sanglota Mizki. Il a été empoisonné. J’en suis sûre !

    Meiko ne pouvait observer le visage d’Inda qui lui tournait le dos, mais Mizki semblait presque folle.

    - Empoisonné, dis-tu ?

    - J’avais demandé… Je savais que je n’aurais pas assez de lait… J’ai demandé qu’on m’apporte de l’aide, mais personne d’autre dans le château n’a enfanté récemment… Alors, ils m’ont donné du lait de chèvre...

    Malgré qu’elle sanglotait encore, la jeune femme semblait résolue à tout raconter.

    - Je me suis dit que mon bébé… il n’est pas prématuré… Je me suis dit que c’était à lui que je devrais donner le lait de chèvre. Et ils m’ont dit… Ils m’ont dit… Que c’était idiot, que je devrais réserver mon lait à mon propre enfant… Je comprends maintenant, ils avaient empoisonné le lait ! Ils voulaient tuer la progéniture de Dalya… Je t’en prie, Inda, crois-moi, leur comportement était vraiment étrange !

    - Je te crois.

    Il y eu un petit silence pendant lequel Mizki, un peu calmée par la déclaration de sa sœur, sécha ses larmes.

    - J’avais déjà entendu des échos, continua Inda. Je sais qu’un groupe de rebelles souhaite faire monter sur le trône Amin, à la place d’Edwin. Mais je ne pensais pas qu’ils profiteraient du décès de Dalya pour passer à l’action.

    - C’est horrible… Comment peut-on comploter pour tuer des enfants…

    Inda commença à faire les cent pas, le bébé qu’elle tenait dormant paisiblement. Meiko n’osait plus bouger d’un pouce.

    - Pour l’instant, vu que le roi a demandé de garder le secret, très peu de personnes sont au courant, réfléchissait Inda à voix haute.

    Elle se posta à nouveau devant sa sœur.

    - Mizki. Ton bébé est mort, mais tu peux encore tenir la promesse que tu as faite à Dalya. Je sais qu’il te faudra du temps pour faire ton deuil. Mais nous devons agir au plus vite.

    - Je ferai tout pour Dalya, dit la jeune femme d’une voix plus assurée, les larmes ayant enfin cessé de couler.

    - Si ce que je pense est correct, quoiqu’on fasse, Edwin est condamné. Son meurtre n’est qu’une question de jours. Les coupables font partie du conseil royal.

    - Mais, si nous disons la vérité au peuple…

    - Ils donneront au peuple leur version de l’histoire. Nous n’avons aucune preuve. Mizki, tu as vu de quoi ils sont capables, nous ne sommes pas de taille face à eux pour l’instant. Ce qui est certain, c’est que l’héritier court un grave danger dans ce château. Il faut qu’il grandisse en sécurité. Nous allons faire croire qu’il n’a pas survécu. Prématuré, ses chances de survie sont faibles. Nous laisserons ton bébé dans le berceau. Tout le monde croira que tu t’es enfuie avec ton enfant, trop honteuse de n’avoir pu sauver celui de Dalya. C’est ce que je ferai croire.

    - Mais, Inda, tu oublies que…

    - Non, je n’oublie pas.

    Inda retourna près du berceau, observant à nouveau son contenu.

    - Ce n’est qu’une hypothèse, risquée. Mais je pense que les rebelles n’auront aucun intérêt à dévoiler le secret.

    - Mais ils ne sont pas les seuls à être au courant. La sage-femme…

    - Je trouverai les mots pour que tous gardent le silence.

    - … D’accord. Je te fais confiance.

    Mizki se leva. Elle marcha d’un pas décidé vers le berceau. Mais elle hésita encore avant d’y poser le corps de son bébé. Elle laissa échapper un dernier sanglot. Puis, elle prit le nouveau-né se trouvant dans le berceau. Meiko osa se pencher un peu plus pour observer l’héritier. Mais ce n’était qu’un nouveau-né semblable à ceux qu’elle avait déjà vus. Mizki resserra le tissu qui l’enveloppait et le plaça dans un drap qu’elle avait passé autour de son cou, veillant à ne pas le réveiller. Meiko avait déjà vu des jeunes mères porter leur progéniture ainsi pour avoir les mains libres.

    - Quand tu seras en sécurité, envoie-moi un message à notre ancien pensionnat au nom de Paula. La gouvernante saura qu’il s’agira d’un message secret. Je t’expliquerai alors comment nous communiquerons.

    - D’accord.

    De leur bras libre, les deux femmes se serrèrent brièvement.

    - Fais attention à toi, lui dit encore Inda.

    - Toi aussi.

    Mizki s’apprêta à partir et Meiko se serra contre le fauteuil pour ne pas se faire voir.

    - Attends.

    C’était Inda qui avait parlé. Elle tendait devant elle le bébé qu’elle tenait dans ses bras.

    - Que fais-tu ? Il faut que tu l’emmènes aussi !

    - Quoi ? Mais, Inda, pourquoi ? Il est bien mieux avec toi qu’avec moi…

    - Non. C’est faux. Les rebelles risquent de s’intéresser à moi également à présent. Je ne peux le mettre en danger uniquement pour assouvir une envie égoïste, cela n’aurait pas de sens. C’est mieux ainsi, et tu le sais très bien.

    - Je suis désolée…

    Inda aida sa sœur à passer un deuxième drap autour de son cou pour y placer le deuxième nouveau-né. Meiko se pencha pour jeter un coup d’oeil. Mais cette fois, Mizki la vit.

    - Qui es-tu ?!

    Meiko s’était réfugiée derrière le fauteuil, son coeur battant la chamade dans sa poitrine. Elle savait qu’elle n’aurait pas du entendre cette conversation. Inda contourna le fauteuil et l’observa.

    - N’aie pas peur. Tu es la fille de la chef cuisinière, n’est-ce pas ? Depuis quand es-tu là ?

    - Je… J’ai entendu des pleurs et… Je suis désolée…

    - Est-ce que tu comprends ce qu’il se passe ?

    Meiko haussa les épaules.

    - J’ai compris… que des gens voulaient du mal à l’héritier… Mais je ne dirai rien pour qu’il soit en sécurité, je le jure !

    Inda sourit gentiment.

    - Calme-toi, je sais que tu n’as aucune mauvaise intention. Je connais bien ta mère, aussi. Nous allons avoir besoin d’alliés, Meiko. Pouvons-nous compter sur toi ?

    Se sentant importante, Meiko gonfla la poitrine.

    - Oui !

    Et Meiko tint sa promesse. Même lorsque les rebelles réussirent à couronner Armin. Même lorsque les années passèrent. Même lorsque sa mère mourut de maladie. Même lorsque Luka convainquit les rebelles de l’aider à prendre la place de son époux sur le trône. Même lorsque Yukari lui fut enlevée. Elle continua de rester fidèle à la véritable famille royale de Miginnie.

     

    ***

     

    La princesse de Voline, Miku, accompagnée par sa servante et meilleure amie, Rin, observait l’entraînement du frère de cette dernière. Len se battait à l’épée contre le chevalier qui l’entraînait. Rin encourageait avec entrain son jumeau, qui avait nettement progressé ces derniers temps. Il s’entraînait toujours avec application et sérieux. Bien que la paix régnait à présent à nouveau sur les royaumes, il avait hâte d’être prêt à protéger personnellement sa princesse, et sa sœur.

    - Miku.

    Mikuo, le grand frère de Miku qui, suite au décès de leur père, était récemment devenu roi de Voline, se dirigeait vers eux, l’air grave.

    - Que se passe-t-il, grand frère ?

    - Nous avons un invité que j’aimerais te présenter.

    Il regarda brièvement Rin, puis Len qui s’était également approché, curieux.

    - Oui, vous pouvez venir, répondit-il dans un soupir, comme si il connaissait déjà leur question avant même qu’elle n’ait franchi leurs lèvres.

    Miku lui adressa un sourire. Mikuo semblait avoir accepté que les jumeaux la suivaient partout comme son ombre. Le trio suivit donc le roi à travers la cour.

    - Te souviens-tu de Syla d’Edior ? Commença par demander le jeune homme.

    - Oui, bien sûr, s’étonna la princesse aux deux longues couettes.

    Elle avait été fiancée temporairement à Syla, le prince héritier d’Edior. Cependant, Edior avait été renversé par le royaume de Miginnie, et la famille royale avait été condamnée à la pendaison pour trahison par la reine Luka. Seul Syla avait réussi à échapper à ce sort funeste, fuyant le château pour disparaître dans la nature. Cela faisait maintenant plus de quatre mois qu’il n’avait plus donné signe de vie.

    - Apparemment, la route a été difficile pour lui. Il n’a pris aucun risque et a caché son identité jusqu’à ce qu’il me parle personnellement.

    - Mikuo… Tu veux dire que, cet invité…

    - Oui. Syla nous a rejoint.

    Sur ces paroles, il ouvrit la porte qui menait à la salle du trône. Un jeune garçon aux cheveux bleus patientait et s’inclina lorsqu’ils entrèrent dans la salle. La princesse remarqua qu’une tresse avait été réalisée à l’arrière de son oreille droite.

    - Votre Altesse Miku, c’est un honneur de vous rencontrer.

    La princesse s’approcha pour qu’il puisse lui faire un baise-main.

    - Moi de même.

    Elle ignorait comment s’adresser à lui. Edior tombé, il n’était plus officiellement prince, cependant il restait une personne importante.

    - Miku, Syla nous a fait le récit de ses mésaventures. La reine a tendu un piège à sa famille pour les faire pendre, ils n’ont jamais tenté de la tuer.

    - Je suis navrée de l’apprendre.

    Cependant, elle avait du mal à croire qu’ils n’auraient pas réellement tenté de tuer Luka afin de reprendre leur royaume, si ils en avaient eu l’occasion.

    - C’est un coup fourbe et honteux, reprit Syla. Cette personne ne mérite pas de se trouver sur mon trône. Elle a déjà tué tant de personnes innocentes.

    Miku observa son frère. Il ne comptait tout de même pas la fiancer à nouveau à cet homme ? La paix était enfin revenue. Elle ne désirait pas aider cet inconnu à reprendre son royaume. Elle n’avait jamais réellement désiré devenir reine, même si cela serait profitable pour son pays.

    - Même si son royaume est tombé, il reste un homme de sang royal, expliqua Mikuo à sa soeur. Il est plus que probable que, les tensions calmées, il pourra reprendre et gouverner un petit territoire.

    - Avec tout mon respect, Votre Majesté, je compte bien récupérer Edior. C’est mon royaume !

    - Malheureusement, notre armée n’est pas assez puissante pour lutter contre Miginnie. Il nous faudrait plus de forces.

    - Il y a énormément d’opposants au pouvoir de Luka dans mon royaume, reprit Syla, enflammé. L’ancienne armée d’Edior se retournera contre elle à la moindre occasion ! De plus, ma sœur est toujours à Katenze. Si Katenze voit que la situation peut tourner à notre avantage, ils n’hésiteront pas à nous aider à renverser Miginnie afin que le prince Kyo puisse l’épouser ! Et même si Katenze ne prend pas parti, j’ai déjà réuni d’autres alliés, et j’ai un plan pour en rallier encore plus !

    - Grand frère, nous avons tant souhaité cette paix, tenta Miku.

    - Cette paix ne peut durer, affirma Syla. D’après mes espions, la situation à Edior se dégrade de jours en jours. La guerre ne peut que revenir. Et vous devrez choisir votre camp.

    - Notre père n’approuvait pas les décisions de Miginnie, reprit Mikuo. Nous avons déjà choisi notre camp.

    Miku échangea un regard avec Rin. Elle semblait tout aussi inquiète. Len, lui, avait les yeux qui brillaient. Comme tous les jeunes écuyers de son âge, il rêvait de batailles où il pourrait montrer de quoi il était capable. Il était encore inconscient des horreurs de la guerre. Syla s’avança et reprit la main de Miku dans la sienne.

    - Votre Altesse. Je vous demande juste de me laisser une chance de vous convaincre de m’aider. Je vous prouverai que vous avez tout à gagner à monter sur le trône avec moi à Edior.

    Miku se tourna vers son frère qui l’encouragea d’un signe de tête.

    - J’en serais honorée, mentit-elle, toujours anxieuse. Mais lorsque la reine Luka apprendra votre présence ici, ne risque-t-elle pas de nous demander de vous livrer ? Nous avons un accord de paix entre nos royaumes.

    - Notre famille avait avant tout un accord avec Edior, expliqua Mikuo, ravi de la tournure de la situation. Il est normal que nous le protégions de Miginnie. De plus, Katenze possède la princesse Alys. Luka comprendra que nous désirions également garder un otage précieux dans cette situation.

    Mikuo s’approcha de Syla pour poser la main sur son épaule.

    - Parle-nous de ton plan pour récupérer Edior. Parle-nous de tes alliés. Si tu arrives à me convaincre que tu peux reprendre ta place sur le trône, alors je t’accorderai la main de ma sœur, et mon armée sera à toi.

    Chapitre 10 >>


  • Commentaires

    1
    Dimanche 14 Janvier 2018 à 19:37

    J'aime bien le fait de commencer la deuxième partie avec un flash-back. En plus, le point de vue adopté, celui de Meiko, est intéressant. Je pense qu'on a encore beaucoup de choses à apprendre sur ce qu'il s'est passé avant, et ça annonce pas mal de surprises, j'ai l'impression...

    Je trouve que Syla a vraiment la classe, n'empêche (de la manière dont je l'imagine entrer dans la salle avec Miku et les autres, en tout cas xD)
    On voit que le jeu des alliances continue (je suis curieux de voir la réaction de Miku, elle n'avait pas l'air très rassurée...). Pas mal de choses se mettent en place. Je suis impatient de voir ce que ça donnera^^

    En tout cas, c'est toujours agréable et facile à lire, et le lecteur est toujours pris dans l'histoire.

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