• Le lendemain, lorsque Roku revint de son rendez-vous quotidien avec Takeshi, Kyuu ne l'attendait plus derrière la porte. Il était installé dans le divan, regardant distraitement la télévision, mais ça ne l'empêcha pas de lui poser des questions dès qu'il s'approcha de lui.
     
    - Alors ? Comment ça s'est passé ?
    - Très bien, répondit simplement Roku. Et toi ?
    - On s'en fout de moi ! Je suis en retenue, que veux-tu qu'il m'arrive ? Je veux savoir tout ce que tu fais avec lui !
    - Et bien, euh, on s'est embrassé...
     
    Cette simple révélation sembla ne pas plaire du tout à Kyuu, alors il rattrapa vite le coup.
     
    - Enfin, on a surtout parlé. Voilà.
    - Si jamais il ne me plait pas, tu arrêteras de sortir avec lui ? Demanda-t-il sérieusement.
    - Tu ne l'as même pas encore rencontré ! Tu vas voir ce soir, je suis sûr que même toi tu ne trouveras rien à redire.
     
    Pendant qu'il se préparait pour sortir, Roku se sentait incroyablement anxieux. Déjà, c'était la première fois qu'il était invité au restaurant. Mais aussi, il craignait que Kyuu se montre injuste avec Takeshi. Connaissant son frère, il serait capable de gâcher la soirée en essayant de prouver qu'il avait raison. Et puis, le moindre détail le faisait douter. Il n'arrivait pas à décider ce qu'il allait mettre. Il dévalisa l'armoire et opta finalement pour un pantalon simple et une chemise de Kyuu.
     
    - Il a dit de ne pas nous mettre sur notre trente-et-un, dit-il en se regardant dans le miroir, ayant entendu son frère entrer dans la chambre. Mais c'est peut-être trop simple ? Tu me trouves comment ?
    - Très... bien, répondit-il évasivement en remettant de l'ordre dans l'armoire.
    - Tu as hésité ?
    - Non, c'est juste que, je trouve que tu en fais trop.
     
    Roku hésita un instant, se disant que c'était le meilleur moment pour en parler.
     
    - Moi j'aimerais bien que toi, tu fasses un effort. Je voudrais que tu lui laisses réellement une chance. Que tu n'essayes pas de le pousser à bout... Si tu le fais fuir, je serais vraiment triste...
     
    Kyuu soupira en refermant l'armoire. Il ne voulait surtout pas que son petit frère le déteste. Avait-il vraiment le droit de gâcher ses relations avec les autres ? Non. Même si il n'en pensait pas moins.
     
    - D'accord. Je ne tenterai pas de le faire fuir.
     
    Se sentant un peu plus rassuré, le cadet le remercia en embrassant furtivement sa joue.
     
    - Super ! Prépare-toi maintenant, on va bientôt y aller.
     
    Lorsqu'il quitta la chambre, Kyuu toucha doucement sa joue en soupirant une deuxième fois. Il devrait sans doute vraiment prendre du recul et ne pas partir avec un a priori au rendez-vous. Cependant, il savait que même si il était aussi parfait que Roku ne le décrivait, il ne pourrait pas apprécier Takeshi. Comment pourrait-il accepter quelqu'un qui lui enlève son jumeau ?
     
    Kyuu et Roku marchaient vers le petit restaurant quelques rues plus bas que leur maison. Le plus jeune jubilait malgré son anxiété, l'autre n'exprimait pas un grand enthousiasme. Ils étaient censés se retrouver à l'intérieur du restaurant, et lorsqu'ils y entrèrent, Roku remarqua directement que Takeshi était arrivé le premier.
     
    - C'est lui, souffla-t-il à son frère.
     
    Mais lorsque Kyuu vit la table désignée, il se stoppa net.

    - Non, lâcha-t-il catégoriquement.
    - Hein ?
    - Hors de question !
    - Mais... Fit Roku, confus. Pourquoi?

    Son frère semblait prêt à laisser une chance à Takeshi il y a encore quelques secondes. Alors pourquoi ce brusque changement ? Il eut la réponse bien vite.

    - Quel âge il a ? Il est beaucoup plus âgé que toi !
    - Il... Il a 30 ans, ce n'est pas tant que ça... Se défendit Roku. Et de toute façon, je trouve que ce n'est pas important... N'oublie pas que tu avais dit que tu ferais un effort !
    - Mais...
    - S'il te plait !
     
    Kyuu serra les dents. C'était au prix d'un grand effort qu'il n'allait pas crier sur cet homme de laisser son frère tranquille. Justement, Takeshi avait tourné la tête vers eux et attendait, curieux.
     
    - Roku, reprit l'ainé en bouillonnant de colère, je ne pense pas qu'un homme de cet âge recherche une relation saine avec un jeune comme toi. C'est malsain. Je t'avais dit que c'était sûrement qu'un pervers ! Viens, on s'en va.
     
    Il attrapa son jumeau par le poignet et l’entraîna vers la sortie, mais une fois arrivés dehors, ce dernier résista.
     
    - Tu ne l'as même pas rencontré !
    - Pas besoin, je sais qu'il n'est pas fait pour toi !
    - Ce n'est pas à toi de le décider !
     
    Les gens qui se promenaient dans la rue tournaient la tête vers eux, mais ils n'y firent pas attention, c'était déjà mieux que de faire une scène dans le restaurant. A présent aussi en colère que lui, Roku se libéra.
     
    - Tu es juste borné ! Son âge n’est pas si important, tu as juste pris le premier prétexte pour le détester ! Tu n'as qu'à rentrer, toi. Moi, je reste avec Takeshi-san !
    - Tu préfères rester avec un homme que tu connais à peine ?!
    - Oui !

    La réponse était sortie naturellement mais il regretta d'avoir été si tranché lorsqu'il vit que ça blessait son frère. Néanmoins, il resta campé sur sa position, ne comptant pas se laisser faire sur ce coup-là. Pendant un moment, Kyuu sembla à court de mots, peu habitué à voir son petit frère lui tenir tête. Ils s'affrontèrent encore du regard quelques instants lorsque l'ainé tourna les talons. Même si il avait gagné, le cadet n'en était pas du tout satisfait. Il aurait voulu le rattraper, lui faire comprendre ce qu'il ressentait, mais il se contrôla et se dirigea plutôt vers le restaurant. C'était Kyuu qui était en tort après tout. C'était lui qui devrait le rattraper en s'excusant d'être si injuste. Takeshi n'avait pas bougé, mais il semblait rassuré en voyant Roku revenir.

    - Kyuu est parti ? Demanda-t-il.
    - Hm… J’aurais dû le prévenir pour votre âge… Il n’a pas confiance en vous...
    - Ce n'est pas grave, il lui faut peut-être un peu de temps. Assieds-toi.

    Roku hésita réellement. Il se sentait mal, d'avoir contrarié et blessé son frère, d'être retourné auprès de Takeshi en délaissant délibérément son jumeau. Il risquait de lui en vouloir énormément.

    - Roku, tu as dit toi-même que ça risquait d'être difficile. Mais tu dois aussi penser à ton bonheur à toi. Et si tu ne le brusques pas un peu, il risque de ne jamais te laisser partir. Il faut qu'il comprenne que tu as le droit de voir d'autres personnes que lui !
    - Vous... Vous avez sans doute raison.

    Finalement, il s'assit. Autant il se sentait coupable, autant il devait avouer que Kyuu l'avait terriblement déçu. Il n'avait même pas pris la peine de rencontrer Takeshi. Il restait borné, alors qu'il savait que c'était important pour lui.

    - C’est dommage, j’aurais bien aimé discuter avec lui, reprit Takeshi, semblant un peu déçu. Quand tu m’as demandé à ce qu’il puisse venir aussi, et avec tout ce que tu m’as dit sur sa possessivité, je me suis douté que cette rencontre serait importante…
    - Je suis désolé, répondit automatiquement Roku.

    Takeshi secoua la tête.

    - Tu n’as pas à être désolé. Je suis juste déçu de ne pas avoir pu le convaincre. Je parie qu’il va tout faire pour qu’on rompe maintenant, n’est-ce pas ?

    Le cadet tordait la nappe sous la table. Oui, Kyuu ne laisserait pas cette histoire comme ceci, il ferait tout pour mettre un terme à cette relation. Mais il ne supportait pas l’idée de perdre le premier homme qui était tombé amoureux de lui juste parce que son frère l’avait décidé.

    - Il sait qu’il est très important pour toi, continua de déduire Takeshi, et il va sans doute s’en servir pour que tu fasses ce que lui veut, et non toi.
    - Je… Je le convaincrai ! Répondit Roku. Et même si il reste borné, je ne céderai pas cette fois !

    Takeshi sourit, satisfait et rassuré.

    - J’espérais entendre une réponse comme ça. J’avais peur que tu ne veuilles plus de moi.
    - Je veux toujours de vous, balbutia maladroitement le cadet en rougissant.

    Ce ne serait pas facile, mais il était déterminé à ne pas céder Takeshi pour Kyuu. Takeshi avait raison, si il ne faisait rien, son frère ne le laisserait jamais voir d’autres personnes car personne ne serait assez bien pour lui. Il adorait Kyuu, mais il voulait sortir de leur bulle de solitude. En espérant que ce soit bénéfique pour son jumeau aussi.

    - Tu es très élégant, le complimenta Takeshi pour changer de sujet.

    Le plus jeune sourit à son tour. Quitte à être resté, autant en profiter pour passer une bonne soirée. Heureusement, Takeshi semblait ne pas le tenir responsable du comportement impoli de son jumeau. Il essayait même de lui faire oublier cet incident, se montrant aussi gentil et agréable que d'habitude.

    Lorsqu'ils sortirent du restaurant, l'inquiétude qui s'était cachée quelque part durant le repas remonta d'un coup. Il n'était pas sûr de vouloir refaire face à Kyuu. Takeshi dut sentir son hésitation car il resta près de lui.

    -Je te proposerais bien de dormir chez moi, avoua-t-il. Mais je ne pense pas que ça arrangerait la situation, au contraire.
    -N-non... Mais merci...

    C'est donc seul que Roku rentra chez lui. La maison était silencieuse et plongée dans l'obscurité. Kyuu ne l'avait sans doute pas attendu et était parti se coucher. A moins qu'il ne soit pas rentré ? Inquiet à cette pensée, Roku monta rapidement les escaliers sur la pointe des pieds. En ouvrant la porte de sa chambre, il se rassura en voyant la silhouette familière de son frère couchée dans son lit. Il ne savait pas comment il aurait réagi si il n'avait pas été là. Rien qu'émettre cette hypothèse l'horrifiait. Mais il était bel et bien là, même si il lui tournait le dos. Bien qu'il savait qu'il ne dormait pas, le cadet fit le moins de bruit possible en traversant la chambre. Lorsqu'il eut enfilé son pyjama, il retourna auprès de son frère. Après y avoir réfléchi, il s'était dit qu'il ne voulait pas attendre que Kyuu s'excuse, car borné comme il était, cela pourrait prendre du temps. Sauf que lui ne supportait pas cette situation et voulait la régler au plus vite.
     
    - Kyuu ? Je sais que tu ne dors pas.
    - Je t'ai dit que cet homme était dangereux, et tu ne m'as pas écouté, lâcha l'ainé sans se retourner, visiblement encore très remonté. Tu as dit que tu préférais passer du temps avec lui ! Et bien, vas-y, mais ne me parle plus !
     
    Le cadet serra les poings, ayant compris la stratégie de son jumeau. Il devait être persuadé qu'il gagnerait si il devait choisir entre lui et Takeshi, donc il s'en servait pour faire du chantage. Il devait vraiment être blessé qu'il ait choisi son adversaire plutôt que lui un peu plus tôt.
     
    - Je continuerai à voir Takeshi-san, même si tu ne me parles plus.
     
    Roku attendit un moment au milieu de la pièce, immobile, mais Kyuu ne répondit plus. Un peu maladroitement dans la pénombre, il rejoignit son propre lit, le cœur serré. C'était mieux comme ça, se répéta-t-il pour se convaincre. Kyuu allait finir par accepter qu'il s'éloigne un peu, c'était nécessaire qu'il passe par là.

    Chapitre 4 >>


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  • Le lendemain fut pareil aux autres jours. Kyuu et Roku passèrent la journée à deux, isolés du reste de la classe. L'ainé semblait s'habituer à cette solitude, mais Roku continuait d'espérer que les choses s'améliorent. Si au moins le groupe de harceleurs de l'autre classe les laissaient un peu tranquilles... Heureusement, ou malheureusement dans un certain sens, ils furent ignorés toute la journée. A la fin des cours, le cadet accompagna à nouveau son frère à la salle de détention mais il ne tenta plus de rentrer avec lui. Kyuu ne semblait plus penser à l'inconnu, sans doute était-il persuadé que Roku ne le reverrait plus jamais. Lui-même commençait à y croire. L'homme avait peut-être trouvé des choses plus intéressantes à faire, ou avait tout simplement oublié. Sans doute attendrait-il une heure assis seul sur le banc. Il eut cependant très vite la réponse à sa question car l'inconnu l'attendait déjà bien calmement lorsqu'il arriva au point de rendez-vous. Toutes ses appréhensions s'envolèrent d'un coup et c'est heureux et le cœur léger qu'il alla s’asseoir en répondant à ses salutations.

    - Je me suis rendu compte que hier, nous n'avons parlé que de moi, dit Roku. Je ne connais même pas votre nom...
    - C'est vrai. Excuse-moi, je ne suis pas du genre à parler beaucoup de moi. Mais j'essayerai de faire des efforts, rajouta-t-il avec un sourire encourageant.

    Dans la conversation, Roku apprit donc qu'il s'appelait Takeshi et travaillait comme employé dans une agence d'assurances bien connue. Il était âgé de 30 ans, pourtant il trouvait qu'il faisait bien plus jeune. A part d'autres petits détails, comme le fait qu'il aimait le cinéma et les plats épicés, il n'en apprit pas autant que lui avait raconté la veille. Mais il appréciait l'effort et s'en contentait pour l'instant. Takeshi se montra aussi gentil et agréable que la veille, et Roku continuait de trouver qu'il était facile de discuter avec lui. Même sa façon de le regarder et de lui sourire lui réchauffait le cœur.
     
    - Tu sais, Roku, j'aime beaucoup passer du temps avec toi, avoua-t-il alors que le parc commençait à se vider.
    - Merci, j'aime bien passer du temps avec vous aussi, répondit-il en rougissant un peu.
     
    C'était vrai. Il adorait l'idée que quelqu'un d'autre que son frère l'apprécie et montre un intérêt envers lui. Cela lui fit remarquer plus que jamais à quel point il se sentait seul.
     
    - Tu es mignon, gentil et il y a quelque chose en toi qui m'attire beaucoup. C'est simple, depuis hier je ne pense plus qu'à toi.
    - Euh...
     
    Le jeune garçon fixa ses mains, anxieux. Ce n'était quand même pas une déclaration ? Son cœur se mit à battre plus vite à cette pensée. Mais non, c'était idiot et prétentieux de conclure ça.
     
    - Tu m'as dit que tu n'avais pas de petite amie, mais as-tu déjà pensé à l'éventualité de sortir avec un homme ?
     
    Y avait-il déjà pensé ? Oui, peut-être un peu. Mais tout le monde passait par ce genre de remise en question, non ? Cela ne voulait rien dire. Pourtant, il se sentait plus rouge que jamais. Il s'imaginait très bien aux côtés d'un homme protecteur, dans les bras duquel il pourrait se blottir à la moindre occasion. Cependant, vu sa popularité à l'école, il ne visait pas si haut et aurait été déjà bien content de simplement créer quelques liens d'amitié avant toute chose.
     
    - Je ne sais pas, arriva-t-il à balbutier.
    - Tu n'as pas envie d'essayer ?
     
    Ce n'était pas lui qui se faisait des films, c'était réellement une déclaration, n'est-ce pas ? Comme pour balayer tous les doutes, Takeshi se pencha vers lui. Ayant perdu l'usage de ses membres, le plus jeune se laissa faire.

    ***


     
    Tout semblait plus lumineux et joyeux, comme si ses soucis n’avaient à présent plus aucune importance. A chaque pas, Roku avait envie de sautiller. Il était heureux, tout simplement. Pourtant, arrivé devant sa maison, son enthousiasme descendit dangereusement. Kyuu avait encore dû rentrer sans lui, il n'allait pas être de bonne humeur. Surtout lorsqu'il lui avouera tout... Car oui, il ne pouvait rien cacher à son frère. De toute façon, il finirait très vite par être au courant, et ce serait pire si il le découvrait par lui-même. Un peu anxieux, le jeune garçon ouvrit la porte de chez lui. Comme il s'y était douté, Kyuu, les bras croisés en signe d’agacement, l'accueillit immédiatement.
     
    - Où tu étais ?
     
    Roku referma la porte, se sentant réellement coupable. Après tout, il avait dit qu'il le retrouverait devant l'école à présent.
     
    - Je suis désolé. J'étais avec Takeshi-san, je n'ai pas vu le temps passer.
    - Qui ça ?
    - Tu sais, l'homme de hier...
     
    Kyuu haussa un sourcil pendant que Roku déglutissait.
     
    - Qu'est-ce que tu faisais encore avec lui ?!
     
    Gagnant un peu de temps pour réfléchir à comment aborder le sujet, Roku le contourna et se dirigea vers le salon.
     
    - Tu sais, je vais... continuer à passer du temps avec lui, dit-il en s'asseyant dans le canapé. Même quand tu ne seras pas en retenue.
    - Je vois, râla Kyuu en s'asseyant également. Tu échanges quelques politesses avec lui et ça y est, c'est ton meilleur ami ?
    - En fait... Il... Il m'a demandé si je voulais sortir avec lui et... j'ai accepté.
     
    Roku ne s'était jamais rendu compte auparavant à quel point l'horloge qui pendait au mur du salon pouvait être bruyante. On n'entendait plus que son tic tac régulier, et peut-être son cœur qui battait plus fort dans sa poitrine. Kyuu avait la bouche entrouverte, attendant qu'il lui dise que c'était pour rire. Mais ça ne l'était pas. Plutôt que de se mettre en colère, l'ainé prit un air presque paternel, comme si il allait expliquer quelque chose d'évident à un petit enfant.
     
    - Roku, réfléchis deux minutes... Tu ne peux pas sortir avec quelqu'un que tu connais à peine...
    - C'est toi qui ne le connais pas ! On a déjà beaucoup discuté au parc. Il est très gentil, et sympa, et...
    - Ca ne veut rien dire, il peut faire semblant ! Le coupa Kyuu plus fermement. Tu ne peux pas connaître les vraies motivations de quelqu'un en si peu de temps.
    - Pourquoi il ferait semblant ?
    - C'est peut être juste un pervers qui cherchait une proie facile !

    Roku se sentit agacé. Pourquoi fallait-il toujours que son frère voie le mal partout ? Il prit mal également son insinuation sur sa naïveté. N’avait-il aucune confiance en lui ? Il avait juste fait connaissance avec quelqu’un au parc, ce n’était pas comme si il l’avait suivi dans une ruelle sombre en pleine nuit !

    - Je ne suis pas une proie facile !
    - Si, tu l'es ! Tu étais tout seul, un peu déprimé, il savait qu'en se montrant un peu sympa tu tomberais facilement dans ses bras !
     
    Même si il s'était attendu à ce genre de réactions, le plus jeune se sentait blessé.
     
    - Tu penses que je fais pitié ? Tu ne penses pas que quelqu'un puisse tomber amoureux de moi ?

    Voyant que ses propos lui avaient fait mal, le ton de l'ainé s'adoucit un peu.

    - Pas aussi vite ! Je suis sûr qu'il veut juste profiter de toi.
     - Tu es complètement parano, et je vais te le prouver ! Il m'a invité au restaurant demain soir, et je lui ai demandé si il voulait bien que tu viennes avec, car je savais que tu réagirais comme ça. Et il a accepté directement !
    - Ah, parce qu’en plus c'est un fanatique des plans à trois...
    - Hein ? Mais... Mais t'es... !
     
    Kyuu soupira et tapota la tête de son jumeau. L'air de rien, le fait qu'il puisse le rencontrer l'avait bien calmé, sans doute rassuré de ne pas être mis à l'écart.
     
    - Ok, ok. Je viendrai.
     
    La conversation paraissait close, Kyuu ne pouvant plus critiquer avant de pouvoir faire son propre avis le lendemain. Ce n'est que lorsqu'ils furent couchés chacun dans leur lit, la lumière déjà éteinte, que l'ainé relança brusquement le sujet.
     
    - Roku ?
    - Hm ? Marmonna-t-il, à moitié endormi.
    - Je viens de me rendre compte... Tu veux sortir avec un homme... Donc, tu es gay ?
    - On dirait bien... C'est la première fois que je ressens quelque chose comme ça en tout cas.
    - Il ne faut pas que les gens de l'école l'apprennent. Ils risqueraient de s'en prendre encore plus à toi.
    - Je sais. Je ferai attention.
    - Je serai toujours là pour te protéger de toute façon.
     
    Roku fut un peu ému. Au fond, Kyuu ne faisait que prendre soin de lui. Il s'énervait peut-être trop facilement, et il était parano, mais c'était parce qu'il ne voulait que son bien. Demain, lorsqu'il rencontrera Takeshi, il verra qu'il pourra avoir confiance en lui, et il ne s'énervera plus. Rassuré et plus serein, il se retourna, prêt à s'endormir.

    Kyuu, lui, prit plus de temps à s’endormir. Ses yeux fixaient un point dans l’obscurité, alors qu’il était perdu dans ses pensées. Bien sur, il savait qu’un jour, Roku risquait de tomber amoureux, voire qu’il sortirait avec quelqu’un. Mais il ne s’attendait pas à ce que ce soit si soudain. Il y avait quelques jours encore, il ne parlait à personne d’autre qu’à lui, alors il pensait ne pas avoir à s’inquiéter pour l’instant. Son estomac se noua à l’idée que son jumeau puisse commencer à passer plus de temps avec quelqu’un d’autre qu’avec lui. Une douleur qu’il ne connaissait pas lui serra le cœur. Il souffrait à l’idée que son petit frère puisse se blottir dans les bras d’un autre, lui tenir la main, lui montrer les sourires qu’il ne montrait d’ordinaire qu’à lui… Et pendant qu’ils se verraient, que devrait-il faire, lui ? Il se retrouverait plus seul que jamais… Il ressentit même un élan de colère envers son jumeau. Comment pouvait-il envisager de le délaisser ainsi ? Lui ne supporterait pas de le laisser seul délibérément ! Il soupira, évacuant au mieux sa colère. De toute façon, c’était trop soudain, cela cachait forcément quelque chose. Roku était juste trop naïf. Cette histoire ne durerait sûrement pas, et lorsque son frère s’en rendra compte, il sera là pour le réconforter, et tout redeviendra comme avant.

    Chapitre 3 >>


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  • La dispute

     

    La sonnerie de l'école retentit, annonçant la fin d'une longue journée de cours. Aussitôt, les élèves commencèrent à ranger leurs affaires pendant que leur professeur, une jeune femme à l'air strict, leur rappelait avec insistance de faire leurs devoirs pour le lendemain. Tous les élèves de la classe commencèrent alors à se diriger vers la sortie. Tous, sauf deux jumeaux qui marchaient en traînant les pieds.

    - Je n'arrive pas à croire qu'elle m'ait collé pendant une semaine ! Se plaignait l'ainé, Kyuu, visiblement de mauvaise humeur.
    - On n'en serait pas là si tu arrêtais de te battre pour un rien... Remarqua Roku, le cadet.
    - Pour un rien ?! Il se foutait de nous !
    - Je sais, ça m'énerve aussi. Mais essaye de ne pas y faire attention, ils finiront bien par se lasser...

    Le plus âgé ne répondit plus, mais il n'en pensa pas moins. Il ne pouvait pas ne pas réagir aux provocations, c'était plus fort que lui. Surtout lorsque c'était son petit frère qui était visé. Et des provocations, ils en subissaient beaucoup depuis qu’ils étaient arrivés dans cette école… Au bout du couloir, ils arrivèrent devant la salle de détention. Madame Kobayashi, une femme bien portante approchant de la retraite, les y attendait. Du moins, en partie.

    - Mais, que faites-vous ici, vous ? Demanda-t-elle en pointant Roku avec son stylo.
    - Je... Mon frère a eu une retenue, balbutia-t-il, essayant de ne pas faire attention aux regards des quelques élèves présents dans la salle qui s'étaient levés vers lui.
    - Oui, il est sur ma liste. Mais pas vous !
    - Mais ça ne me dérange pas de rester, je n'ai rien prévu d'autre de toute façon...
    - Ne dites pas ça, mon garçon, dit la surveillante en se levant et en invitant le jeune adolescent à se diriger vers la sortie. Ne vous punissez pas sans raison. Allez donc passer du temps avec vos amis, ou faites vos devoirs. Vous pouvez bien survivre une heure sans votre frère !

    Les élèves en retenue ricanèrent et, avant que Kyuu ne réagisse, il préféra prendre congé. Evidemment, qu'il pouvait survivre une heure sans son frère. Ce n'était vraiment pas un problème. Il n'avait qu'à en profiter pour... Arrivé dehors, il s'arrêta, réfléchissant à ce qu'il pourrait faire. Passer du temps avec des amis ? Quels amis ? Depuis leur arrivée dans ce lycée, ils n'avaient jamais vraiment réussi à s'intégrer. C'était comme ça, il suffisait d'avoir un mauvais caractère comme son frère ou d'être trop timide comme lui pour devenir les exclus de la classe. Cet isolement avait d’ailleurs contribué à rapprocher les deux frères au point de devenir inséparables, bien qu’ils étaient déjà particulièrement proches depuis la naissance. Faire ses devoirs alors ? C'était justement une matière qu'il ne comprenait pas très bien, Kyuu était censé l'aider à les faire. Il pourrait rentrer, mais personne ne l'attendait chez lui, ses parents étant en voyage d'affaire, et tout seul le temps lui paraîtrait long. Il n'avait plus qu'à... se balader. Il se mit à marcher en direction du parc près du lycée. Il n'avait qu'à y faire un petit tour pendant une heure, et revenir ensuite à l'école pour rentrer avec son frère. Finalement, peut-être ne pouvait-il vraiment rien faire sans lui...

    Le parc était plutôt animé après la fin des cours. Il faisait bon en cette période de l'année et les jeunes en profitaient pour traîner dehors. Pour être franc, Roku regrettait un peu de s'y être rendu, craignant de rencontrer des élèves de sa classe ou ceux qui le harcelaient pendant les pauses. Alors, lorsqu'il vit trois camarades de classe discuter entre eux, il fit son possible pour les éviter le plus discrètement possible.

    - Il faut que je passe à la supérette, disait Emi, une fille brune plutôt mignonne.
    - D'accord, allons-y. J'achèterai quelques mangas en passant, décida Shinji, un autre camarade.

    Même si il était assez près pour les entendre, aucun d’entre eux ne semblait avoir remarqué sa présence. Il aurait vraiment pu les éviter, mais une étrange idée lui vint plutôt à l'esprit.

    - Euh, excusez-moi... Est-ce que je peux venir avec vous?

    Les trois élèves se tournèrent vers lui, sans doute aussi surpris qu'il ne l'était d'avoir osé se manifester.

    - Je... Je dois aussi passer à la supérette, alors je me disais que...
    - Tiens, t'es pas toujours collé avec ton frère toi ? Demanda Shouta, le plus grand du groupe, cherchant Kyuu du regard.
    - Il est en retenue, il s'est battu avec un gars d'une autre classe, expliqua Emi.
    - J'ai toujours dit qu'il était dérangé, dit alors Shouta avec un petit sourire.
    - Il n'est pas dérangé ! S'offusqua Roku. C'est l'autre qui l'a provoqué !
    - C'est marrant, d'habitude, on ne t'entend pas parler, remarqua Shinji. Pourquoi ?
    - Euh...

    Qu'était-il censé répondre à ça ? Il regrettait amèrement de leur avoir adressé la parole, il n'était pas du tout à l'aise avec eux.

    - Tu devrais te décoincer un peu. Tu peux venir, tu as l'air moins énervant que l'autre, proposa Emi.
    - Non, merci. Je viens de me souvenir que j'ai un autre truc à faire, mentit-il.
    - Ok, une autre fois peut-être.

    Les trois élèves reprirent leur route, ne lui accordant plus un regard.

    - Pourquoi tu as accepté qu'il vienne ? Entendit-il encore.
    - Bah, il me faisait un peu pitié.

    Abattu, Roku alla s'assoir sur un banc. Qu'avait-il espéré ? Il restait aux yeux des autres « toujours collé à son jumeau », et « celui qui ne parle pas ». Sans oublier qu'il ne pourrait jamais s'entendre avec des gens qui critiquaient son frère. De toute façon, vu leur manière de lui parler, il n'avait même pas l'impression qu'ils lui laissaient réellement une chance de sympathiser avec eux.

    - Je ne comprends pas. Comment un garçon mignon comme toi peut être aussi peu populaire ?

    Roku releva brusquement la tête. Un homme inconnu se trouvait à présent devant lui. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il lui voulait mais il avait clairement dû voir ce qu'il venait de se passer.

    - "Mignon" ? Répéta-t-il, surpris, n’ayant pas l’habitude d’être désigné ainsi.
    - Et bien, oui. Tu n'es vraiment pas moche, continua l'homme en s'asseyant sur le banc. Alors pourquoi tu sembles si seul ?

    Roku sentit sa timidité naturelle ressortir, gêné qu’un inconnu s’asseye à côté de lui et lui adresse la parole. Mais en même temps, il se sentait un peu content, qu’il ait dit le trouver mignon. D’habitude, les gens se moquaient plus de sa couleur de cheveux et des yeux qu’ils trouvaient bizarres, ou de son physique trop frêle.
    - Ils ne s'entendent pas très bien avec mon frère, avoua-t-il. Et même quand il n'est pas là, je suis trop timide...
    - Ton frère est si méchant que ça ? Continua d'interroger l'homme.
    - Non ! Il a juste donné une mauvaise première impression, et comme il est borné... Mais pourquoi ça vous intéresse de toute façon ?
    - Disons qu'à cause de certains évènements, je me sens un peu seul en ce moment. Il me semblait que toi aussi, n'est-ce pas ? Alors, on pourrait se tenir compagnie.

    Roku ne savait pas trop quoi en penser. On lui avait toujours dit de ne pas parler aux inconnus, mais à première vue, cet homme semblait plutôt gentil. Il était grand et bien habillé, sans doute était-il un employé d'une boite sérieuse. Ses cheveux noirs étaient plaqués soigneusement en arrière. D'une certaine manière, il semblait classe et cool en même temps, le genre d’homme qui ne laissait pas les filles indifférentes.

    - Pourquoi vous vous sentez seul ? Finit-il par demander.
    - Continuons plutôt avec toi. Tu as donc un frère ?

    Finalement, parler avec cet homme fut plus facile que prévu. Roku lui dévoila bien plus qu'il ne l'avait prévu au départ, racontant tout ce qui lui passait par la tête, de la raison de la retenue de son frère à leurs problèmes avec le reste de la classe. L'homme l'écoutait patiemment, se montrait intéressé en posant quelques questions, trouvait même quelques mots pour le faire sourire. Du coup, Roku fut vraiment étonné lorsqu'il remarqua que l'heure était passée et que Kyuu devait déjà être à la maison. Grâce à la compagnie de cet inconnu, le temps était passé beaucoup plus vite.

    - Il faut que j'y aille, s'exclama-t-il en se levant et en prenant son portable, prêt à envoyer un message à son frère pour le prévenir de son retard.
    - D'accord, dit l'homme en l'imitant. A demain, même heure, même endroit ?
    - Comment ça ?
    - Tu as bien dit que ton frère était collé toute la semaine, n'est-ce pas ?
    - O-oui...
    - A demain alors, répéta l'homme en lui ébouriffant gentiment les cheveux.

    Roku le regarda s'éloigner, se sentant un peu bizarre. Lorsqu'il avait senti sa main se poser sur sa tête, ses joues avaient rosies. Il n'avait pas l'habitude de tels gestes d'affection, sauf bien sûr de la part de son frère, mais ce n'était pas déplaisant. La tête un peu dans les nuages, il prit le chemin de la maison.

    ***


    - Où étais-tu passé ?!

    C'est Kyuu qui le tira de son état rêveur au moment même où il posa un pied à l'intérieur de leur maison. Il semblait à la fois inquiet et en colère.

    - J'ai été au parc, répondit-il évasivement. Je vais me changer.

    Il se rendit dans sa chambre, qu'il partageait d'ailleurs encore avec son jumeau, pour enlever son uniforme scolaire. Comme il s'y était attendu, Kyuu l'avait suivi.

    - Et qu'est-ce que tu as fait, au parc ?
    - J'ai discuté avec quelqu'un, avoua-t-il en déboutonnant sa chemise.

    Il se doutait bien que son frère, très protecteur, n'allait pas du tout apprécier qu'il ait passé une heure à discuter tranquillement avec un parfait inconnu. D'ailleurs, il se rendit compte qu'il ne connaissait même pas son nom.

    - Il n'est pas dans l'école, ajouta-t-il. Mais il est sympa. Comment s'est passée ta retenue ?
    - Je me suis ennuyé à mourir ! Pendant que toi, tu t'amusais avec tes nouveaux amis !
    - Kyuu !

    Il n'arrivait pas à croire qu'il puisse être jaloux à ce point. Et égoïste pour en arriver à souhaiter qu'il s'ennuie autant que lui ! Il fallait dire que Kyuu se montrait toujours très possessif avec lui, sans doute un peu trop.

    - Déjà, ce n'est qu'une personne, et on n'est même pas amis. On s'est juste tenu compagnie. Ne me dis pas que tu m'en veux de ne pas t'avoir attendu tout seul en pleurant ?
    -Peut-être pas à ce point... Mais j'aurais cru que tu serais au moins là pour mon retour.
     
    Roku soupira doucement. Il savait qu'il n'y avait pas trente-six façons pour que son frère ne boude pas toute la soirée.

    -Désolé. Les prochains jours, je serai là bien à l'heure devant l'école.
     
    Semblant satisfait, l'ainé le laissa finir de se changer. Tant qu'il était seul, Roku repensa à cette rencontre inattendue. Que dira Kyuu lorsqu'il saura qu'il l'aura revu le lendemain ? A cette pensée, il ressentit à nouveau cette agréable sensation qu’il avait ressentie à ses côtés. Il avait hâte de revoir cet homme. Peut-être allait-il encore lui ébouriffer les cheveux ? Lui dire qu’il était mignon ? Puis, la crainte s’insinua dans son esprit. Il valait mieux ne pas espérer de trop, au risque d’être déçu. Peut-être que cet homme se lasserait vite de sa compagnie, peut-être ne serait-il même pas là demain...

     

    Chapitre 2 >>


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  • - Je refuse de la voir ! Qu’elle s’en aille !

    Kyo, furieux, restait allongé dans son lit, les bras croisés derrière la tête. Ses cheveux bruns mi-longs retombaient en désordre sur l’oreiller. Il n’avait toujours pas digéré le mariage arrangé par ses parents. Comment osaient-ils le marier avec une princesse d’un royaume sur le point de perdre une guerre ? De plus, il avait déjà eu l’occasion de rencontrer la princesse Alys par le passé et il en gardait comme souvenir une fille trop timide, trop sage et obéissante, trop fade. A ses côtés, ses gardes et confidents échangèrent un regard. Le plus jeune, un blond aux traits fins, se nommait Yuu, tandis que le plus grand, aux cheveux noirs et à l’allure ténébreuse, portait le nom de Will.

    - Kyo, selon les indications de Maika, elle sera ici d’une minute à l’autre, remarqua Will. Tes parents seront furieux si tu ne l’accueilles pas convenablement.

    - Laisse-lui au moins une chance, l’implora Yuu. On ne sait même pas si le mariage aura réellement lieu, les dernières nouvelles venant d’Edior étaient très inquiétantes…

    - Raison de plus pour ne pas la voir, le coupa Kyo, borné.

    Il se leva du lit, pris d’une soudaine motivation.

    - Mes parents veulent que je l’accueille ? Très bien, je vais lui souhaiter la « bienvenue ».

    Kyo sortit de la chambre et dévala les escaliers, suivi par ses gardes qui tentaient de le raisonner. Mais il ne les écoutait plus. Il était hors de question qu’on le force à se marier. Dès qu’il verrait la princesse, il lui ferait comprendre qu’il n’avait aucune envie d’elle comme épouse, qu’elle n’avait pas sa place ici, qu’elle...

    Il se stoppa net en arrivant dans le hall, Will et Yuu manquant de le percuter. Elle était là. Accompagnée de son chevalier et des cavaliers qui l’avaient escortée, la princesse Alys lui tournait le dos, discutant avec la capitaine de la garde, Maika. Elle portait une robe indigne d’une princesse, se moquait-elle de lui en se présentant à lui dans cette tenue ? Bien qu’il avait entendu parler de ses mésaventures, il n’en avait que faire et il s’avança vers elle d’un pas plus décidé que jamais. En remarquant son arrivée, les discussions s’arrêtèrent et Alys se tourna vers lui.

    Le temps sembla soudain se figer. Toute la détermination de Kyo se volatilisa. La princesse était infiniment plus jolie que dans ses souvenirs. Sa robe trop simple la mettait étrangement en valeur, et sa poitrine manquait de s’échapper du tissus fin au moindre mouvement brusque. Son visage était délicat, et ses yeux brillant d’inquiétude lui fit perdre ses moyens.

    -Votre Altesse… Balbutia-t-il en se reprenant. Vous êtes aussi magnifique que dans mes souvenirs. J’attendais votre arrivée avec la plus grande impatience.

    Heureusement que Will et Yuu furent capables de cacher leur étonnement. La princesse Alys, soulagée par ses paroles rassurantes, fit une révérence.

    - Prince Kyo. Je suis honorée de vous revoir. Veuillez me pardonner de me présenter à vous dans cette tenue.

    Kyo sourit. Une femme docile et au corps magnifique s’offrait à lui. Finalement, se marier et faire des enfants ne serait pas une si grande corvée, avec elle pour épouse.

    ***

    Encouragée par sa rencontre avec le Prince Kyo, Alys le suivit à la salle du trône, ainsi que Maika et sa seconde aux cheveux rouges, Leora. Takahashi fermait la marche, tout en surveillant de près les jumeaux, la princesse ayant demandé à enlever leurs entraves pour leur procès. Dans la plus grande salle du château, la princesse s’inclina et se présenta au roi et à la reine de Katenze. Elle récita les paroles de politesse qu’elle apprenait depuis sa plus jeune enfance, et les souverains, touchés par ses mésaventures, se montrèrent particulièrement prévenants.

    - Bienvenue à Katenze, Alys, conclut le roi, le portrait craché de son fils avec quelques années de plus. Nous ferons notre possible pour punir les brigands qui s’en sont pris à vous. Ces deux-là en font-ils partie ?

    Il désigna les jumeaux, qui attendaient de connaître leur sentence avec inquiétude. Au mieux, ils seraient jetés en prison pour expier leurs fautes, au pire, ils seraient exécutés dès l’aube pour servir d’exemple. Et comme ils s’en étaient pris à une princesse... Alys prit une profonde inspiration, s’étant préparée à ce qu’elle devrait dire à ce sujet.

    - Oui, Votre Majesté. Cependant, ils faisaient partie de ce groupe à contrecœur et ils souhaitent à présent obtenir votre pardon afin de revenir à une vie normale. Ils n’ont commis aucun méfait grave, les brigands se servaient plutôt d’eux pour les corvées. Ils m’ont été d’un grand soutient lors de cette épreuve, aussi ont-ils toute ma gratitude et je vous demande personnellement de faire preuve d’indulgence envers eux.

    Elle sentait le regard réprobateur de Takahashi la toiser, mais elle n’y fit pas attention. Il était vrai qu’elle avait arrangé la vérité, mais elle connaissait le sort réservé aux brigands et elle restait persuadée que Roku méritait une meilleure vie. Il s’agissait du seul moyen de sauver le cadet, et elle se persuadait de plus en plus que Kyuu aussi pourrait vivre une vie normale grâce à l’influence de son jumeau. Elle l’espérait du moins, car en cas d’une quelconque trahison de leur part, la faute retomberait sur elle. Les deux frères semblaient étonnés de la tournure des événements, mais ils eurent l’intelligence de garder le silence.

    - Qu’ils se repentissent ou non, si ils ont vécu avec ces brigands, on ne peut pas les laisser en liberté ! Nous ignorons leurs intentions ! Lança Leora, visiblement furieuse.

    - Leora, je t’ai déjà dit de ne pas intervenir sans en avoir l’autorisation, la réprimanda Maika.

    - Mais elle n’a pas tort, intervint Kyo. De plus, en ces temps de trouble, nous avons bien mieux à faire que de recueillir n’importe qui.

    Le roi leva la main, et le silence se fit aussitôt.

    - Comment vous appelez-vous ? Demanda le souverain sans une once d’agressivité.

    - Kyuu et Roku, répondit l’ainé d’une voix peu assurée, sans préciser lequel était lequel.

    - Confirmez-vous les paroles de la princesse Alys ?

    - Oui, reprit à nouveau le plus âgé, semblant plus sûr de lui. Bien que nous ne l’avons pas fait que dans ce but, nous espérions que veiller sur la princesse lors de sa captivité nous permette d’être pardonnés et d’obtenir du travail ici.

    Alys fit étonnée que ce soit Kyuu et non Roku qui exprime leur souhait de se repentir. Elle faillit lever les yeux au ciel en l’entendant prétendre avoir veillé sur elle, ayant plutôt l’impression que c’était elle qui avait le plus veillé sur eux, mais elle se contrôla, ne voulant pas tout faire rater.

    - Bien. Nous vous ferons travailler aux cuisines, sous étroite surveillance. Si vous n’avez réellement rien à vous reprocher, vous pourrez faire vos preuves ici.

    - Mais… Intervint à nouveau Kyo.

    - Nous n’avons pas de raison de refuser la faveur de notre invitée, reprit-il. Nous nous fions à tes paroles, Alys.

    Alys se détendit. Le roi semblait bienveillant et généreux, contrairement à son fils. Les jumeaux durent encore jurer fidélité au roi, et ils en profitèrent pour le remercier de sa clémence, puis un garde les escorta hors de la salle du trône. En voyant la porte se refermer derrière eux, Alys se rendit compte qu’elle ne les croiserait sans doute plus, mais elle se sentait satisfaite de la bonne action qu’elle venait de commettre. En espérant que cela ne se retourne pas un jour contre elle.

    Le roi convoqua alors son conseil et la jeune princesse fut invitée à la séance. Elle savait que celle-ci était cruciale pour son royaume.

    - Nous enverrons des patrouilles aux alentours des villages aux abords de la forêt, annonça le roi lorsque le conseil débuta. Nous continuerons à protéger notre peuple des brigands.

    - Je peux vous donner au mieux l’emplacement où nous avons été attaqués, prit l’initiative de dire Alys. Mes servantes sont toujours portées disparues…

    Il y eu un petit silence gênant, pendant lequel Alys se rendit compte que le roi ne comptait pas lui demander cette information.

    - Bien sûr, ceux qui vous ont fait du tort méritent d’être punis, reprit le roi. Nous ferons notre possible pour que justice soit faite. Malheureusement, je crains que nous ne puissions plus faire grand-chose pour vos servantes, et il nous est plus utile de garder nos forces pour d’autres tâches plus urgentes.

    Alys sentit ses joues s’empourprer. Elle n’avait pas l’habitude des conseils royaux, contrairement à Syla, et sentit perdre le courage qu’elle avait rassemblé pour prendre la parole.

    - Je… Je comprends.

    La discussion s’orienta enfin vers l’attaque de Miginnie contre Edior.

    - Aux dernières nouvelles, les troupes de Miginnie se rassemblaient aux portes du château d’Edior, annonça un chevalier du conseil. D’après nos estimations, le château ne tiendrait sans doute pas plus de deux semaines aux assauts.

    - Dans ce cas, vous devez partir immédiatement ! Ne put s’empêcher de s’exclamer Alys, inquiète.

    -Vous devez, vous devez, entendit-elle malgré que les paroles furent dites à voix basse. Pour qui se prend-elle ?

    Alys n’eut pas besoin de se tourner pour deviner que la personne qui avait parlé était Leora, la seconde de Maika. Autant elle avait profité du voyage jusqu’au château pour créer des liens avec la capitaine, autant elle sentait que la seconde ne la portait pas dans son cœur. A nouveau, elle sentit ses joues s’empourprer.

    - Je veux dire, s’il vous plait, aidez mon royaume au plus vite.

    - Et qu’y gagnerons-nous, à les aider ? Lança un vieux conseiller en se grattant la barbe.

    - Nous avons un accord entre nos royaumes ! Lui rappela Alys. Mon mariage avec le prince Kyo !

    Ce dernier, assis à côté d’elle, lui prit la main dans la sienne, en la caressant doucement.

    - Calmez-vous, ma Douce. Nous possédons des informations et un point de vue externe que vous n’avez pas. Laissez le conseil réfléchir aux meilleurs solutions à prendre.

    Alys serra les dents. Etait-il en train de lui dire qu’elle devait rester silencieuse pendant que se jouait l’avenir de son royaume ? N’était-elle ici que pour jouer la douce fiancée du prince ? Elle baissa la tête, perdue entre la colère et la honte. C’est la dernière qui l’emporta, et abattue, elle ne dit plus un mot. Les conseillers argumentaient, les chevaliers parlaient de tactiques de guerre, le roi écoutait, l’air songeur. Avant même qu’il ne prit de décision, Alys sentait que la situation n’allait pas à son avantage.

    - Une victoire contre Miginnie est possible, assurait un chevalier. Mais nous risquons de subir de lourdes pertes. Nous avons tous été surpris par leur avancée miraculeuse. Et ils nous réservent sûrement d’autres surprises.

    - Nous aurions pu l’envisager si nous étions partis plus tôt, parla un autre. Mais comme nous ignorions si la princesse arriverait… Même si nous partions dès demain, nous risquons d’arriver trop tard.

    - Sommes-nous prêts à prendre le risque de retourner Miginnie contre nous, alors qu’ils viennent de nous proposer une alliance ? Demanda un conseiller.

    Voici donc les informations que je ne possède pas, maugréât Alys. Miginnie leur a également proposé un accord !

    - Votre Majesté, nous nous retrouvons entre deux camps, remarqua un conseiller au roi. Ne vaut-il pas mieux rester neutre en attendant de voir comment la situation évolue ?

    Mais la situation évoluerait de manière différente si vous aidiez Edior ! Eut envie de crier Alys.

    Mais elle ne dit rien. Elle se rendait bien compte à présent que cela serait inutile. Son avis n’avait aucune valeur ici. Désespérée, elle tourna son regard vers le roi, comme toute l’assemblée.

    - Edior comprendra que nous n’avions pu agir sans avoir la certitude que la princesse était vivante, déclara-t-il. Il est trop tard maintenant, nous mêler à ce conflit ne nous causerait que des pertes et du tort. Nous accepterons l’accord commercial de Miginnie. De plus, le mariage est reporté tant que la situation d’Edior ne sera pas stabilisée.

    Il se tourna vers Alys, qui sentait tous ses espoirs s’envoler. Dire qu’elle avait trouvé ce roi bienveillant et généreux, elle le trouvait à présent traître et lâche.

    - Ne t’inquiète pas, Alys. Mariage ou non, tu seras traitée ici comme l’invitée d’honneur que tu es.

    Malgré toutes les paroles qu’aurait voulu dire la fille à la tresse en ce moment, elle se contenta de remercier le roi, vaincue. La séance se termina alors. Pendant que tous les conseillers discutaient dans une ambiance légère, Kyo fit un baise main à sa promise.

    - Mariage ou non, je suis sûr que nous deviendrons très proches, lui assura-t-il avec un sourire qui ne plut pas à la jeune fille.

    - Votre Altesse, l’interpella Maika. Je vais vous conduire à vos appartements.

    Alys hocha la tête, toujours incapable de prononcer un mot, et elle suivit la capitaine en dehors de la salle. Elle remarqua très vite que Leora les suivait.

    - Je suis navrée que cela se passe ainsi, dit Maika en marchant. Je le pense sincèrement.

    - Merci, répondit Alys, réellement touchée.

    Elle sentait bien que Maika l’appréciait énormément. Peut-être s’était-elle fort reposée sur elle lors du chemin, envieuse de retrouver une relation amicale avec une femme suite à la perte de ses servantes. Et la capitaine l’avait prise sous son aile.

    - Moi aussi, je suis navrée, lança Leora. Navrée de votre comportement.

    - Leora ! S’indigna Maika.

    - Je ne comprends juste pas, s’énervait la jeune femme. Comment peut-elle rester les bras croisés pendant que son royaume se fait condamner ?

    - Tu ne sais pas de quoi tu parles, se défendit Alys. Je suis une étrangère ici, rien de ce que j’aurais dit…

    - Est-ce que jouer les victimes a été plus productif ?

    - Je ne joue pas les victimes !

    Maika observait l’échange, impuissante. En temps normal, elle aurait dû arrêter sa seconde, mais vu que la princesse répondait, elle ne pouvait intervenir sous peine de mettre en doute son autorité.

    - Tu es la victime par excellence ! Répliqua Leora, oubliant par la même occasion les règles de politesse. Tu obéis à tout ce qu’on t’ordonne ! A part pleurer pour tes servantes, qu’as-tu fait pour elles ? Pourquoi te montres-tu si gentille avec les brigands qui ne te voyaient que comme monnaie d’échange ? Que vas-tu faire maintenant pour ton royaume, te morfondre dans ta chambre pendant que ton château se fait assiéger ?

    - Que veux-tu que j’y fasse ?! S’exclama Alys, comme si toutes ses frustrations avaient besoin de sortir. Je ne peux rien faire ! Je ne peux… rien…

    Elle tomba à genoux, accablée.

    - Je suis… faible.

    Leora s’avança, la dépassa, puis sans se retourner, reprit la parole.

    - Oui, tu es faible. Et ce n’est pas en s’en lamentant que ça va changer.

    Alys serra les poings, sentant les sanglots qu’elle retenait s’échapper malgré elle. Leora avait raison, elle ne faisait que subir, accepter son rôle de victime. Et ce depuis qu’elle était toute petite. Elle avait toujours appris à obéir, à rester à sa place. C’était pour cette raison que, malgré ses réticences, elle était partie se marier à un inconnu. Et elle était tellement faible. Alors que la Reine Luka relevait à elle seule un royaume en perdition et gagnait les batailles les unes après les autres, elle était incapable de protéger ses meilleures amies. Ni de se protéger elle-même. Même Kaito n’avait dû la voir que comme une femme fragile. Elle pensait que c’était normal pour une femme. Pourtant, Luka, mais aussi Maika et Leora prouvaient que des femmes pouvaient également être fortes. Alors pourquoi pas elle ?

    Leora a raison… Ce n’est pas en me lamentant de ma faiblesse que les choses vont changer…

    Elle essuya ses larmes du revers de la manche de sa robe. Etrangement, craquer lui avait fait du bien.

    - Maika… Je veux apprendre à me battre.

    Leora reprit sa marche sans qu’Alys ne put voir son petit sourire satisfait.

    - Vous en êtes sûre ? Demanda Maika.
    - Oui. Je sais qu’il me faudra du temps. Et que je ne pourrai pas sauver mon royaume seule. Mais je veux au moins être capable de protéger les personnes qui me sont chères. Et… j’ai l’impression que devenir plus forte physiquement m’aidera aussi à devenir plus forte mentalement.

    Elle se releva et, relevant la tête, reprit la marche aux côtés de la capitaine.

    - Je ne vous ferais pas de cadeau, remarqua cette dernière, semblant assez satisfaite de l’évolution de la situation.

    - J’en suis consciente. Oh, et tu peux me tutoyer. Si Leora se le permet…

    - Je suis désolée pour son comportement. Je lui en toucherai un mot.

    - Non, pas la peine.

    Alys savait que la jeune femme aux cheveux rouges prendrait du temps à la respecter. Mais elle ne pouvait nier que ses paroles avaient été la claque dont elle avait besoin. Alors, d’une certaine manière, elle lui était reconnaissante.

    C’est tout ce que je peux faire pour le moment. Devenir plus forte et, au moment voulu, aider mon royaume de mes propres mains. Je veux changer.

    Je peux changer.

    ***

    La cuisine, plongée dans l’obscurité, avait quelque chose de sinistre. Pourtant, Meiko y trouvait toujours une certaine sérénité lorsque l’insomnie la frappait. Mais pas cette fois. Assise sur une chaise, la chef cuisinière, accablée, essayait de se calmer.

    Yukari était morte. Plus jamais son amie ne viendrait partager avec elle les ragots qu’elle aimait tant. Un chevalier du nom de Yuuma été venu rapporter la triste nouvelle, ayant découvert son corps sans vie sur le chemin du retour au château. Elle aurait été attaquée par des brigands de passage, attirés par ses beaux habits. Le crime avait été si sauvage que même la mère de Yukari ne put voir son corps avant l’enterrement.

    Un sanglot s’échappa de la gorge de la jeune femme. C’était entièrement de sa faute. Jamais elle n’aurait dû mêler Yukari à tout ça. Car Meiko savait que Yuuma mentait. Elle savait que son amie avait été tuée parce qu’elle avait découvert quelque chose d’important. Elle faisait elle-même partie du groupe de l’opposition qui connaissait la vérité sur l’héritier. Au fond d’elle, elle était heureuse que Yukari s’approche de la vérité, car elle souhaitait la faire rejoindre son camp. C’était pour cette raison qu’elle lui avait donné l’adresse d’Inda. Elle le regrettait à présent amèrement.

    Ils me le payeront, jura-t-elle dans le silence de la nuit.

    ***

    La reine Luka observait la lune à travers la fenêtre de sa chambre. Devant la porte close, Yuuma, son fidèle chevalier, venait de faire son rapport et attendait que sa maîtresse réagisse. Cette dernière prit le temps avant de reprendre la parole, comme plongée dans ses pensées.

    - Nous avons donc un problème supplémentaire, finit-elle par dire sans se retourner.

    - En effet.

    - Peu importe. J’éliminerai tous les obstacles qui se dresseront sur ma route. Bon travail, Yuuma. Nous avons fait un bon pas en avant.

    - C’est grâce à votre idée d’utiliser la jeune Yukari, remarqua le chevalier modestement.

    - Oui. Il va me falloir une nouvelle servante. De préférence une fille qui m’admire autant que Yukari m’admirait, pour pouvoir m’en servir également si nécessaire.

    La reine se retourna vers le chevalier.

    - J’ai mis Meiko sous étroite surveillance. Si elle fait partie des rebelles, elle comprendra ce que la mort de Yukari signifie. Il ne faut pas qu’elle prévienne les autres opposants de notre avancée. Ne perds pas de temps, Yuuma. Même si nous connaissons maintenant toute la vérité, la trace de l’héritier reste maigre. Retrouve cet homme, et règle cette histoire une bonne fois pour toute.

    - Oui, Votre Majesté.

    - Je dois me rendre immédiatement à Edior pour encourager mes hommes lors du dernier assaut, et prendre possession du château. Les habitants d’Edior auront bientôt une nouvelle reine à acclamer.

    Yuuma restait silencieux, sachant que Luka n’attendait pas d’intervention de sa part. Il ne doutait pas de la victoire de Miginnie sur Edior. Suite à la mort tragique du roi Edwin, Edior avait été le royaume qui avait le plus profité de la faiblesse du pays pour s’emparer de territoires, aggravant les difficultés de Miginnie à se suffire à eux-mêmes. C’était donc un juste retour des choses que Luka s’empare maintenant entièrement d’Edior. Edior avait des terres fertiles et de nombreux champs, cela suffirait à Miginnie pour retrouver sa grandeur. L’équilibre se rétablirait, et les guerres entre les différents royaumes limitrophes prendront enfin fin.

    Chapitre 8 >>


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  • La journée avait été chaude, sans doute l’une des plus chaudes de l’été. A présent, le soleil s’approchait de l’horizon et commençait à colorer le ciel de couleurs chatoyantes. Sur la route principale, une jeune princesse à cheval rentrait au château. Elle n’avait que onze ans, mais elle montait déjà son cheval avec toute la grâce d’une princesse. Elle portait une robe légère blanche et ses cheveux turquoise étaient attachés en deux courtes couettes. Il était déjà tard, elle se ferait sûrement réprimander par ses parents à son retour, surtout qu’elle ne pouvait quitter le château seule. Mais elle aimait ses balades à cheval, et les gardes étaient trop contraignants. Et de toute façon, qui oserait s’en prendre à la Princesse de Voline ?

    Alors qu’elle approchait de sa destination, des cris retinrent son attention. Curieuse, elle prit le chemin qui s’éloignait de la route principale pour en découvrir l’origine. Là-bas, elle découvrit un homme qui tirait deux enfants par le bras, les forçant à le suivre. Les enfants, deux garçons, étaient jeunes, plus jeunes que la princesse, et tous deux arboraient la même chevelure blonde. Ils étaient plus que probablement jumeaux, se ressemblant comme deux goûtes d’eau. D’un seul coup d’oeil, elle devina leurs conditions plus que modestes.

    - Laissez-nous ! Criait l’un des deux enfants.

    - La ferme ! Répliqua l’homme.

    Il remarqua alors la présence de la princesse, et un sourire peu amical étira ses lèvres. Il était grand et une longue cicatrice défigurait son visage, le rendant particulièrement laid.

    - Je suis chanceux aujourd’hui ! Trois gosses à revendre, et un cheval en prime !

    - Sauve-toi ! Cria l’un des deux blonds.

    Mais la princesse ne bougea pas. A l’intérieur, elle bouillonnait de rage. Ses parents l’avaient si souvent mise en garde contre ces grandes personnes qui pouvaient faire du mal aux enfants, mais c’était la première fois qu’elle en rencontrait une.

    - Libérez ces enfants, ordonna-t-elle.

    Pour toute réponse, l’homme éclata de rire. Puis, il lâcha l’un des deux blonds, pour sortir un poignard.

    - Allez, viens ici ma belle…

    L’enfant libre ne prit pas la fuite, ne pouvant sans doute pas abandonner son frère, qui semblait effrayé par l’apparition de l’arme. Mais la princesse ne sourcilla pas. Elle se laissa glisser du cheval, se tourna vers l’homme, et sortit l’épée attachée à son flanc. Il s’agissait d’une petite épée, légère, néanmoins cela restait une arme. L’homme se figea, mais c’était trop tard. Agile, rapide, la princesse mania son épée avec facilité, et le poignard s’envola dans les airs. Puis, c’est le bras qui tenait le blond qui fut entaillé profondément. L’homme lâcha un cri de douleur et recula, mais la jeune fille ne comptait pas le laisser partir. Il capturerait d’autres enfants, elle ne pouvait l’épargner. L’homme voulu prendre le dessus par la force en se jetant sur elle, mais elle l’évita adroitement et, profitant de sa lancée sur elle, le transperça en pleine poitrine. L’ennemi finit par s’écrouler, laissant échapper des bruits incompréhensibles, puis il s’immobilisa complètement. Bien qu’elle était agile, la princesse manquait de force et c’est avec difficulté qu’elle retira son épée coincée du cadavre. Elle se tourna ensuite vers les deux blonds, qui l’observaient avec la bouche entre-ouverte.

    - Tu es… Incroyable ! S’exclama l’un des deux.

    - Tu as battu un adulte ! Mais comment tu as fait ça ?

    La princesse leur sourit, un peu fière d’elle. De plus, au château, elle côtoyait peu d’enfants de son âge, alors instinctivement elle avait envie de profiter un peu de leur compagnie.

    - Mes parents veulent que je sois capable de me défendre seule. J’apprends à manier l’épée depuis que je suis toute petite. Au fait, je m’appelle Miku, et vous ?

    - Vous êtes… La Princesse Miku ? Remarqua l’un des blonds, ébahi de se retrouver face à une personne si noble.

    - Moi, c’est Len, et elle c’est ma sœur, Rin.

    Miku hocha la tête, ne remarquant qu’à présent qu’un des deux enfants était une fille. Ils se ressemblaient tellement fort avec leurs cheveux décoiffés et leurs vêtements sales. Prise de compassion, elle eut envie de la laver, de lui offrir une belle robe et de la coiffer. Comme une poupée.

    - Etes-vous loin de chez vous ? Je peux demander à vous faire raccompagner.

    L’enfant dénommé Len haussa les épaules.

    - On n’a pas vraiment de chez nous… On vient d’un orphelinat de Miginnie, mais on s’est fait capturer par un marchand d’esclaves avant d’arriver ici.

    Il n’en fallut pas plus à Miku pour leur prendre la main simultanément.

    - Dans ce cas, venez au château avec moi !

    Cela s’était passé il y a si longtemps, et pourtant, Miku se rappelait encore de la chaleur de leur main dans les siennes, de leurs pas timides en la suivant, de l’admiration et de la reconnaissance dans leur regard. Elle ouvrit les yeux. Elle s’était assoupie sur son énorme lit à baldaquin. Ses cheveux étaient longs à présent, mais elle les coiffait toujours en deux couettes. D’autres coups furent donnés à sa porte, et elle se rendit compte que c’était ce qui l’avait éveillée.

    - Entrez.

    Les enfants qu’elle avait sauvés il y a quelques années maintenant entrèrent dans sa chambre. Bien qu’ils se ressemblaient toujours très fort, Rin ne pouvait plus être confondue avec un garçon à présent. En réalité, parfois, Miku devait avouer que c’était plutôt Len qui gardait des traits féminins. Rin était devenue sa servante attitrée, et Len s’entraînait dur pour devenir son garde du corps. Ils étaient également les amis les plus chers à ses yeux.

    - Tu voulais nous parler ? Demanda Rin de façon familière en s’asseyant à ses côtés sur le lit.

    - Je devais vous faire part d’une décision de mes parents.

    Les jumeaux attendirent, curieux. Miku prit le temps avant de reprendre la parole.

    - Edior a rejeté la demande de mariage proposée par mes parents. Mikuo ne pourra pas épouser la Princesse Alys, le Roi d’Edior a choisi d’accepter de la marier au prince de Katenze.

    Mikuo était son frère ainé, et donc l’héritier du royaume de Voline. Cela faisait longtemps que leurs parents souhaitaient s’unir à Edior afin d’améliorer leurs échanges commerciaux.

    - Tes parents doivent être furieux, remarqua Len, surpris. Ceci ne risque pas d’envenimer les relations entre Edior et Voline ?

    - Non, répondit Miku. Parce que le Roi d’Edior a refusé le mariage pour en proposer un autre, encore plus avantageux pour nous.

    Les deux blonds prirent du temps pour assimiler ce que cela signifiait.

    - Plutôt qu’une simple Princesse, ils ont proposé de marier leur fils Syla, l’héritier direct du Royaume. La Princesse Alys ne viendra donc pas ici. C’est moi qui vais partir pour Edior.

    ***

    Nous sommes si proches. Enfin.

    Alys ne serait pas mécontente de quitter cette forêt qui l’avait tant fait souffrir. Mais elle avait également hâte de tenir sa part du contrat avec Katenze, afin que ceux-ci puissent envoyer des renforts dans son royaume en guerre au plus vite.

    Ils devaient à présent traverser un précipice. Mais le pont qu’ils devaient emprunter semblait avoir souffert du poids des années, si bien que le groupe s’était arrêté, jugeant le danger.

    - Y a pas moyen que je passe par là, remarqua Kyuu, peu confiant.

    - Tu as peur ? S’esclaffa Yohio.

    - N-non ! Se défendit le garçon aux cheveux verts. Je pense juste à la Princesse, il ne faut pas lui faire prendre des chemins dangereux !

    En réalité, pour Alys, au plus vite elle arriverait à destination, au mieux ce serait. Même si le pont ne la rassurait guère, faire un détour pourrait lui faire perdre de précieuses heures.

    - Ce pont est dans cet état depuis longtemps, remarqua Kaito. Il n’en reste pas moins solide et fiable, bien plus que certains passages des environs.

    - Je propose qu’on teste en envoyant Kyuu en premier, proposa innocemment Yohio.

    - T’as qu’à y aller toi !

    - Calmez-vous, leur ordonna Kaito, visiblement exaspéré.

    - Je passe d’abord, Kaito, annonça Shirosaki, mettant fin à ces enfantillages.

    L’homme aux vêtements blancs descendit de son cheval et, le tirant par sa bride, commença sa lente progression sur le pont. Certaines planches grinçaient dangereusement lorsqu’il y posait le pied, mais elles tenaient le coup et il arriva de l’autre côté sans encombre.

    - Vous voyez ? Reprit Kaito. Il n’y a rien de dangereux. Pensez-vous réellement que je mettrais la vie de la Princesse en danger ?

    - Mais elle doit avoir trop peur, remarqua Kyuu.

    - Je n’ai pas peur.

    Pour le prouver, la Princesse s’engagea sur le pont à son tour. Contrairement aux autres, elle n’avait pas de cheval à guider, et si le pont avait soutenu le poids de la monture de Shirosaki, elle était persuadée qu’elle ne courrait aucun danger avec son poids plume. Kaito fit signe aux autres d’avancer, et les jumeaux emboîtèrent le pas à Alys. Le chef et son second fermèrent la marche. Comme l’avait affirmé Kaito, le pont soutint leur poids sans problème, et Alys arriva de l’autre côté sans encombre. Elle se tourna, souriant à Roku juste derrière elle, et alors qu’elle s’apprêta à lancer une remarque à Kyuu sur sa lâcheté, une explosion se produisit au milieu du pont. Cela fut si soudain qu’aucun n’avait eu le temps de réagir. Surprise et sous le choc, la princesse regarda le pont se briser sous l’impact. Roku avait eu le temps de passer, mais les trois autres furent entraînés dans la chute.

    - Kyuu ! S’exclama Roku en se penchant au bord de la falaise.

    Mais ce n’était pas fini. Surgissant des fourrés, Takahashi, son épée à la main, se jeta sur Shirosaki. Ce dernier, bien que surpris également, avait déjà sorti sa propre épée et se défendit. Les deux hommes échangèrent quelques coups d’épée et Alys retenait son souffle. Enfin. Son chevalier était venu à son secours. Shirosaki était peut-être futé, mais il n’avait pas eu le temps d’élaborer de stratégie, et sur le combat à l’épée, Takahashi l’emportait largement. Alors pourquoi était-elle si horrifiée ? Elle se sentait terriblement inquiète pour les autres. Elle se détourna du combat pour rejoindre Roku, qui aidait son frère à remonter sur la terre ferme. Son cheval était perdu, mais lui avait eu le temps de s’accrocher à la falaise. Dans la rivière, elle vit parmi les débris du pont deux chevaux morts, mais pas de trace du reste du groupe. Peut-être étaient-ils sous les débris, ou déjà entraînés par le courant… La princesse se tourna à nouveau vers le combat pendant que les jumeaux, à présent prêts à aider leur compagnon, sortaient à leur tour leur épée. Mais c’était trop tard, Shirosaki était déjà blessé au bras et au flan, et après un dernier assaut, Takahashi lui transperça facilement la gorge. L’homme habillé en blanc s’écroula et, après encore quelques spasmes, il s’immobilisa totalement, baignant dans son sang. Takahashi se tourna alors vers les jumeaux, prêt à affronter ses futurs adversaires. Mais les deux frères, impressionnés à la vue de la mort de leur camarade, laissèrent tomber leur épée à leurs pieds, préférant se rendre. Cependant, Takahashi ne baissa pas son épée et se jeta sur eux.

    - Non ! Cria Alys.

    Takahashi hésita quelques secondes, assez pour que la Princesse s’interpose entre lui et les jumeaux, les bras tendus.

    - Que fais-tu ? Ils se sont rendus !

    - Ecartez-vous s’il vous plait. Je ne peux les épargner.

    - Pourquoi ? Faisons d’eux des prisonniers !

    - Votre Altesse, commença-t-il comme si il s'apprêtait à expliquer quelque chose d'enfantin. Je suis seul, et je dois vous protéger. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous encombrer de deux prisonniers inutiles.
    - Ne pourrions-nous pas simplement les laisser partir ?
    - Pour qu'ils préviennent leurs amis et avoir encore plus d'ennemis à nos trousses ? C'est hors de question.
    - Mais ce sont des gosses ! Vous ne pouvez pas tuer des enfants, je le refuse !

    Elle continua à faire obstacle de son corps, protégeant les jumeaux derrière elle. C'était peut-être idiot, mais elle avait passé du temps avec eux, et il était vraiment difficile de laisser mourir des personnes qu'on a connues, même brièvement. Roku était tellement gentil, et même si Kyuu n'avait pas été des plus agréable, elle n’irait pas jusqu’à souhaiter sa mort. Alys vit Takahashi resserrer sa poigne sur son épée, et elle crut qu'elle avait perdu, mais il finit par ranger son arme furieusement.

    - Vous ne vous rendez pas compte de la difficulté que vous nous infliger.

    Derrière elle, les jumeaux soupirèrent de soulagement. En se tournant vers eux, elle vit leur étonnement dans leurs yeux, ce qui la déconcerta. Agissait-elle de la bonne façon ? Elle ne voulait pas voir mourir des enfants, mais elle se rappela qu’ils étaient plus âgés que leur apparence. C’étaient des brigands, qui l’avaient capturée et même blessée, qui avaient déjà commis tant de délits et qui en commettraient encore. Pourtant, elle continuait de croire qu’elle pourrait leur faire changer de voie, comme elle l’avait proposé à Roku il y a plusieurs jours. Mais elle avait beau chercher des excuses, elle ne pouvait nier qu’elle s’était attachée à ce groupe de brigands. Elle était encore inquiète pour Kaito et Yohio, et même voir le corps sans vie de Shirosaki ne lui donnait pas la satisfaction qu’elle aurait dû ressentir d’avoir été sauvée.

    - Comment as-tu fait ça ? Demanda Alys pour changer de sujet pendant que Takahashi désarmait les jumeaux. Faire exploser le pont.

    - Lorsque je vous ai trouvés, j’ai deviné vu la trajectoire que vous preniez que vous passeriez par ce pont. Je ne pouvais me battre seul contre tant de brigands, l’embuscade semblait la seule solution, alors je vous ai devancés. J’ai piégé le pont avec de la poudre, que j’ai enflammée en tirant une flèche.

    Il alla d’ailleurs ramasser l’arc, qu’il avait dû laisser tomber en se jetant à l’épée contre Shirosaki.

    - Je ne pouvais prédire en quel position vous passeriez, et je ne pouvais tirer si vous n’étiez pas en sécurité ou si je ne pouvais en faire chuter assez, car ma position serait d’office dévoilée. Une chance que ce jeune brigand ne soit pas intervenu, j’aurais eu bien plus de mal à un contre deux, ou il aurait pu vous menacer pour me neutraliser. Cela s’est déroulé au-delà de mes espérances.

    Roku sembla ne se rendre compte qu’à présent qu’il n’avait pas agi comme il l’aurait dû. Il s’était tellement inquiété pour son frère qu’il n’avait rien fait pour aider Shirosaki, qui était mort à présent. Alys devina aisément sa culpabilité alors qu’il jeta un regard horrifié au cadavre, puis à son jumeau. Ce dernier secoua la tête pour lui dire de ne pas s’en faire, et la princesse commençait à le connaître assez pour savoir qu’il préférerait que Roku laisse mourir des centaines de compagnons plutôt qu’il se mette lui-même en danger.

    Il était temps de se remettre en route. Ils ne possédaient plus que trois chevaux : celui de Takahashi, celui de Shirosaki et celui de Roku. Takahashi et Alys en chevauchèrent chacun un, tandis que les jumeaux, désarmés et les poignets ligotés, se partageaient le dernier, lui-même attaché au bout d'une corde à la monture du chevalier pour éviter toute tentative de fuite. Le voyage se déroulait en silence, Alys ne cessant de douter d’elle. Pas d’avoir épargné les jumeaux, elle le referait. Mais de s’être ainsi attachée au groupe de brigands. Elle n’aurait pas dû discuter ainsi avec eux ni se laisser attendrir. Syla n’aurait jamais sympathisé avec des ravisseurs. Elle s’était montré faible, encore une fois. Elle lança un regard aux jumeaux, qui semblaient aussi mal à l’aise qu’elle, mais ce qui la surprit, fut qu’ils n’avaient montré aucun signe d’inquiétude pour leur chef et son second. Elle approcha son cheval du leur, bien décidée à en avoir le coeur net.

    - Vous devez être très inquiets pour vos compagnons…

    - Kaito va bien, affirma Roku. Il ne peut pas mourir pour si peu, c’est impossible.

    - Par contre, ce serait bien si Yohio était mort, lança Kyuu. Mais je n’y crois pas trop non plus.

    Elle lança un regard noir à l’ainé pour sa remarque déplacée, mais elle retint surtout la certitude avec laquelle Roku avait prononcé ses paroles. Si pour Takahashi, cela ne devait être qu’une fidélité sans faille, elle savait que le cadet se montrerait beaucoup plus inquiet pour le chef qu’il admirait tant. Même si il ne pouvait le dire devant le chevalier, il venait de lui confirmer qu’il savait que les autres avaient survécu à la chute.

    - Et… merci de vous être interposée, rajouta Roku sans la regarder.

    - Ne la remercie pas trop vite, reprit Kyuu, comme si un remerciement était trop lui demander. On ne sait pas quel sort attend les prisonniers à Katenze…

    Vu qu’elle sentait la désapprobation de Takahashi, elle mit fin à la conversation après un dernier sourire rassurant pour Roku. Katenze était tout proche à présent. Ils commençaient à apercevoir les premiers villages qui bordaient la forêt. Dire que la jeune princesse avait imaginé son arrivée au royaume dans le carrosse royal, avec ses servantes préférées, habillée et coiffée pour l’occasion. L’émotion la submergea en repensant à ses amies. Elle regarda sa robe, déchirée, sale, et elle n’osait imaginer l’état de ses cheveux. Toutes ces épreuves lui revenaient en mémoire maintenant qu’elle était de retour à la civilisation. Elle se frotta les yeux, tentant de se calmer. Ce serait encore pire si elle faisait son entrée avec les yeux rougis.

    Ils s’arrêtèrent dans une auberge aux allures sûres pour la nuit. La femme de l’aubergiste, très compréhensive, aida Alys à se laver et lui prêta sa seule robe, celle qu’elle gardait pour les grandes occasions. Touchée, Alys lui promit de la lui ré-envoyer dès qu’elle aurait atteint le château, accompagnée de dix autres robes pour la remercier. Bien que la robe était assez étroite au niveau de la poitrine, elle se sentait mieux. Il sera également tellement agréable de dormir dans un vrai lit en étant parfaitement propre et parfumée ! Elle avait sa propre chambre, tandis que Takahashi partageait la sienne avec les prisonniers, bien qu’Alys devina sans mal que les jumeaux devraient dormir à terre, toujours attachés. Le chevalier n’avait aucune confiance en eux et le faisait bien comprendre. Le repas aussi fut un grand réconfort pour Alys. Malgré que les brigands l’avaient bien nourrie, manger autour d’une table des plats préparés lui avait manqué. Lorsque la princesse se coucha après le repas, elle s’endormit presque immédiatement, profitant enfin d’un vrai sommeil réparateur.

    Le lendemain, ils reprirent la route à l’aube. Ils n’étaient plus très loin du château, et si Alys se sentait rassurée, une partie d’elle craignait toujours la rencontre avec son prétendant. Honteuse, elle remarqua qu’elle se le représentait sous les traits de Kaito, et elle chassa cette image de son esprit avec vigueur.

    Ils n’étaient pas partis depuis vingt minutes qu’un groupe de cavaliers portant la bannière de Katenze vint à leur rencontre. Ils étaient une dizaine, dont le capitaine semblait être la femme qui s’avança pour les saluer.

    - Bienvenue à Katenze, Votre Altesse Alys. Nous nous sommes mis en route dès que nous avons appris votre arrivée. Je suis Maika, capitaine de l’armée, et j’assurerai votre protection jusqu’au château. Nous sommes désolés d’apprendre vos mésaventures, sachez que Katenze fera son possible pour que justice soit faite.

    Alys avait vu Takahashi envoyer un message par pigeon la veille, mais elle ignorait qu’une telle procession viendrait à sa rencontre. Cela lui fit plaisir et la rassurait, craignant au fond d’elle qu’elle ne serait pas la bienvenue dans ce royaume étranger.

    - Je vous remercie. Nous avons hâte de découvrir le château.

    - Bien entendu.

    Maika, dont les cheveux blancs attachés en couettes tiraient vers le rose, donna quelques ordres à ses hommes qui encadrèrent le petit groupe. Le second de Maika était aussi une femme, ce qui étonnait quelque peu Alys. A Edior, jamais une femme ne pouvait atteindre un rang aussi haut dans l’armée. Elle se nommait Leora, possédait des cheveux rouges attachés en queue, et elle avait quelque chose de plus sauvage que sa capitaine. Maika semblait douce aux premiers abord, bien qu’Alys ne doutait pas de sa force.

    Au bout de quelques heures de voyage tranquille, Maika désigna à Alys l’horizon. Tout en haut de la vallée se dressait fièrement le château de Katenze.

    Enfin, pensa Alys. Enfin. Tout va s’arranger maintenant, tout va bien…

    Chapitre 7 >>


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