•  Le contexte de l’écriture

    J’ai écrit cette histoire après avoir lu « Au delà du Rêve », de Voxwave. Dans ce livre, on explique que ALYS vit dans un univers appelé l’Intermonde, où toutes les histoires avec elle se déroulent réellement dans des dimensions différentes. Alors que dans mes histoires, Kyuu et Roku sont plutôt comme des acteurs. Ils ne vivent pas forcément tout ce que je les fais vivre (les pauvres sinon x) ). Ils ne font pas non plus partie de l’univers d’ALYS et pourtant, ils apparaissent dans quelques histoires avec elle. Je m’étais alors demandé si il était possible que Kyuu et Roku avaient également quelques incarnations dans l’Intermonde ? Pouvaient-ils rencontrer la « ALYS Championne de l’Intermonde » ?

    Au final, je me suis dit pourquoi pas ? Après tout, les écrits où apparaissent à la fois ALYS et Kyuu et/ou Roku peuvent être vus en quelques sortes comme des « crossovers » des deux univers. Imaginez un cercle qui représente l’univers d’ALYS, un cercle qui représente les histoires où jouent Kyuu et Roku, et à l’intersection des deux cercles, il y a une petite sous-partie de l’Intermonde où Kyuu et Roku existent, mais ça ne reste qu’une partie et les deux univers peuvent rester indépendant sans aucun lien entre eux. Bon, c’est un peu compliqué et au final, ça n’a pas beaucoup d’importance. J’ai juste trouvé ça intéressant du coup d’imaginer une histoire se déroulant dans l’Intermonde où je mettrais en scène d’autres incarnations des jumeaux, pour un peu illustrer cette théorie que je m’étais faite ;)

    Du coup, vous vous rendrez vite compte que cette histoire n’est sans doute pas la meilleure pour introduire mes jumeaux. C’est pourquoi je précise que ALYS les aura déjà rencontrés dans au moins un autre monde. Après je pense que vous pouvez lire cette histoire même si vous ne connaissez pas ALYS ou les jumeaux.

    Et pour finir, pourquoi est-ce que je poste cette histoire des mois après l’avoir écrite ? Et bien, je n’étais pas très sûre de moi. C’était un peu personnel d’imaginer mes jumeaux dans un autre univers qui ne m’appartient pas. Est-ce que je n’ai pas pris trop de libertés sur l’Intermonde, ou écrit des erreurs ? Est-ce qu’on pourrait mal prendre que je place Kyuu et Roku dedans ? Les scènes violentes ne sont-elles pas un problème ? Mais quand le concours d’écriture Vocalys a été lancé et que les gens ont commencé à écrire leur propre histoire dans l’Intermonde, j’ai relu cette histoire et je me suis dit, vu qu’elle est écrite, pourquoi ne pas la partager ? Il n’y aura peut-être que trois personnes qui liront après tout XD Il fallait que je me décide vite car une fois que le tome 2 sur l’Intermonde sera publié, mon histoire sera peut-être dépassée avec les nouvelles révélations.

    Donc voilà, voyez bien cette histoire comme un crossover, ALYS et Kyuu/Roku continuent d’exister parfaitement indépendamment, et je pense qu’il n’y aura pas de problème ;)

     

    Attention !

    - Il y a un petit spoil d’Au-delà du Rêve, sur le dragon qu’on voit en couverture (je dis « petit » parce que je pense que peu de gens ne sont pas au courant de qui est ce dragon même sans avoir lu ;) ).

    - Quelques scènes de cette histoire sont assez violentes. Il y aura des morts.

     

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    L’Aurore, le splendide et majestueux vaisseau des Championnes de l’Intermonde, filait tout droit à travers l’immensité de l’espace. A son bord, ALYS se reposait pour l’heure dans sa chambre personnelle. Assise confortablement à son bureau, elle lisait avec attention un énorme bouquin sur les planètes faisant partie du monde dans lequel ils se rendaient. Talia était un monde où la technologie commençait à peine à se développer. La planète du même nom, sur laquelle ils se rendaient, était divisée en plusieurs royaumes, chacun gouverné par un roi. La paix régnait sur ce monde qui semblait bien ordinaire. Mais les rêves d’ALYS lui laissaient présager que son incarnation vivant sur Talia se trouvait en difficulté.

    Curieuse, la Championne était en train de lire un chapitre entier sur la planète Navhee, bien qu’ils n’avaient pas prévu d’y faire un détour. C’était plus fort qu’elle : quand on lui mettait un livre entre les mains, la curiosité la poussait à le dévorer entièrement. L’histoire de Navhee était fascinante, rongée par des siècles de guerre entre les deux peuples qui y vivaient, jusqu’à l’extermination totale de l’un des deux. Talia, pourtant si proche, ne ressemblait en rien à ce monde. Les humains y vivaient de manière tout à fait banale dans un environnement semblable à bien des mondes que le trio de voyageurs avait déjà visités, ils ne devraient pas se sentir trop dépaysés. ALYS mourrait d’envie d’en apprendre plus sur Navhee et son histoire, mais elle devait se concentrer sur sa mission actuelle. Lorsqu’elle leva finalement les yeux de son bouquin, elle se rendit compte qu’ils s’approchaient de leur destination. Elle quitta alors sa chambre afin de faire part à ses compagnons de voyage de ce qu’elle avait appris sur Talia. LEORA pilotait habilement le vaisseau, sous la surveillance de Lupin, lorsque la jeune femme les rejoignit. Les trois passagers firent alors le point sur la situation.

    - As-tu déjà rêvé de ton incarnation dans ce monde ? Interrogea Lupin, le chat malicieux, assis sur sa propre chaise.

    - Très peu, reconnut ALYS. Je n’ai toujours vu qu’une pièce close, très sombre, pareille à une cellule.

    - Cette incarnation serait donc prisonnière ? Remarqua LEORA. Cela risque de compliquer notre entrevue avec elle.

    - Nous commencerons par récolter des informations, continua ALYS. Nous devons découvrir où elle est retenue, et pourquoi.

    Ils venaient de pénétrer dans l’atmosphère de Talia. Par chance, la jeune femme à la chevelure rougeoyante trouva rapidement une clairière à proximité d’une grande ville pour y poser l’Aurore. Les trois voyageurs sortirent ensuite du vaisseau et prirent la direction de la cité. Celle-ci était entourée par de grandes murailles en parfait état. Au centre était visible un château de style moyenâgeux.

    - Ton incarnation se trouve peut-être dans le donjon de ce château, remarqua LEORA.

    Ils observaient la situation à distance, dissimulés parmi les arbres. L’entrée de la ville était gardée et chaque voyageur, la plupart des commerçants, semblait longuement interrogé et fouillé avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur de l’enceinte.

    - Nous devrions faire le tour et tenter de trouver une entrée moins surveillée, proposa ALYS.

    - Vu la sécurité mise en place, je doute que nous trouverions une faille ailleurs, remarqua Lupin.

    - Essayons déjà de savoir pourquoi ils sont si prudents, proposa alors ALYS en désignant un petit groupe de voyageurs non loin d’eux qui se dirigeaient vers la ville.

    Le groupe était constitué de deux hommes, d’une femme et de deux chevaux tirant une immense charrette dans laquelle étaient entreposées diverses denrées. En voyant les inconnus s’approcher, l’homme qui conduisait la charrette fit s’arrêter net les chevaux.

    - Je ne rêve pas ?! S’exclama-t-il alors, abasourdi. Est-ce bien vous, Votre Altesse ?

    Les deux autres voyageurs regardaient également ALYS avec des yeux ronds. Il n’en fallut pas plus à cette dernière pour comprendre la situation. Ces voyageurs devaient, d’une manière ou d’une autre, connaître la ALYS qui vivait sur cette planète.

    - C’est un peu plus compliqué que cela, expliqua-t-elle. Je m’appelle ALYS, et je viens d’un autre monde.

    Sentant qu’ils avaient de l’affection pour son incarnation, qu’ils semblaient être des gens bons, et vu qu’ils avaient besoin d’obtenir des informations sur la situation, elle leur raconta qui elle était, la raison de sa venue et son lien avec les autres ALYS. Elle leur présenta également LEORA et Lupin. De leur côté, les voyageurs se présentèrent à leur tour. La jeune femme, à la chevelure brune et bouclée, se nommait Hannah et travaillait comme servante au château. Les deux hommes, robustes et aux cheveux clairs, se nommaient Vladimir et Kyle, et étaient soldats au service du roi. Le plus âgé, Vladimir, était défiguré par une énorme cicatrice, mais malgré son apparence intimidante il ne cessait de leur sourire avec bienveillance. Kyle était plus renfrogné, sans leur paraître hostile pour autant. Hannah leur parla alors de la Alys qu’ils avaient connue au château.

    - Ainsi donc, mon incarnation est la fille unique du roi de ce royaume ?

    - Oui, reprit Hannah. Et tous deux se sont faits enlever par les Rebelles qui, grâce à la grande puissance d’une pierre magique, ont considérablement décuplé leur force et dirigent à présent ce royaume.

    - Et ce n’est pas tout, continua Vladimir. Les Rebelles continuent d’agrandir et d’entraîner leur armée et se préparent à partir à la conquête des autres royaumes. Bientôt, c’est Talia tout entière qui sera sous leur domination.

    ALYS échangea un regard avec LEORA, qui semblait arrivée à la même conclusion qu’elle.

    - Cette pierre magique, c’est une pierre d’onirisme, affirma LEORA en croisant les bras.

    - Où sont détenus le Roi et la Princesse ? Demanda alors ALYS.

    - Ici-même, répondit Hannah. Dans le manoir d’Ezékiel, le Grand Maître des Rebelles. C’est également lui qui détient la pierre.

    - Nous devons entrer à l’intérieur de cette ville, déclara LEORA. Pouvez-vous nous aider ?

    - Oui, répondit Kyle avec assurance. Les soldats qui gardent cette porte sont des soldats du royaume comme nous et non des Rebelles. Bien que nous soyons dans l’obligation de leur obéir vu qu’ils se servent du roi et de la princesse comme otages, la plupart d’entre nous restons secrètement fidèles à notre souverain et, si nous leurs faisons comprendre de ne pas poser plus de questions, ils nous feront passer discrètement.

    ALYS, LEORA et Lupin s’échangèrent des regards déterminés.

    - On vous suit, dans ce cas.

    Comme l’avait annoncé Kyle, entrer à l’intérieur de la ville se révéla finalement plus facile que prévu. Les soldats s’échangèrent quelques hochements de tête entendus et les firent passer en vitesse, avant que des Rebelles ne viennent fouiller dans leurs affaires. ALYS et LEORA avaient enfilé des vêtements offerts par la servante par-dessus leur combinaison, afin de mieux se fondre dans la foule et de ne pas attirer l’attention sur eux. Ils se trouvaient dans une région plutôt chaude et les vêtements étaient légers et de couleurs pâles. ALYS se cachait le plus possible grâce à une capuche, afin d’éviter d’être reconnue comme la princesse de ce royaume. Hannah continua seule le chemin avec eux, les deux soldats partant de leur côté avec la charrette.

    - La nuit va bientôt tomber, remarqua la servante. Venez vous reposer au château. Tant que nous ne tentons rien, les Rebelles nous laissent continuer de vivre au château sans se mêler de nos affaires.

    - Merci, nous acceptons avec plaisir, répondit ALYS.

    - Moi, je meurs de fin, souffla Lupin, assez bas pour ne pas se faire entendre par quelqu’un d’autre que ses deux compagnes.

    La ville, bien que la technologie de ce monde était peu développée, était agréable. Cependant, les habitants avaient la mine sombre et préoccupée. Alors qu’ils se rapprochaient du château, une étrange agitation se répandit autour d’eux.

    - Ils arrivent ! Cria quelqu’un.

    - Oh non, murmura Hannah, aussitôt inquiète. Cachez bien votre visage, ALYS.

    Tous les habitants se pressaient pour s’écarter et ouvrir un large passage, et tous se prosternèrent à genoux face à la rue. Hannah les imita et convia avec insistance aux deux voyageuses de l’imiter. Au loin, on entendait le bruit de pas réguliers d’un groupe de personnes qui approchait.

    - C’est un groupe de Rebelles ? Interrogea LEORA.

    - Oui, et pas de n’importe qui, répondit Hannah d’une voix inquiète. Il s’agit du Grand Maître Ezékiel, le chef des Rebelles. Le jeune qui le suit est Kyuu, le plus haut commandant après lui. Je vous en prie, ne vous faites pas remarquer !

    Toujours prosternée au sol, ALYS leva la tête pour observer le groupe de rebelles qui approchait. L’homme a la tête ne pouvait être que le chef, tant il semblait sûr de lui. Une puissance évidente émanait de lui, bien qu’ALYS ne sut expliquer d’où lui venait cette certitude. Il était grand et très charismatique, sa peau pâle ne laissait voir aucune cicatrice d’une éventuelle bataille. Il avait des cheveux rouges, des yeux de la même couleur et des vêtements foncés et longs qui lui firent immédiatement penser à un vampire. Derrière lui avançaient au même rythme une vingtaine de soldats. Ils portaient tous une tenue de combat noir, qui contrastait avec les tenues pâles des civils, et une arme de tir imposante. Celui qui marchait auprès de Ezékiel était le plus petit du groupe. Également vêtu de vêtements de combat noir, un top et un short, il ne possédait qu’un simple pistolet attaché à une cuisse, et un poignard à l’autre. Ses yeux étaient rouges comme ceux du Maître des Rebelles, et ses cheveux étaient verts et légèrement ébouriffés. ALYS plissa les yeux. Elle avait déjà vu ce garçon auparavant.

    - Quoi, c’est le petit le plus haut commandant de leur armée ? Souffla LEORA. Il n’est pas très impressionnant.

    - Ne vous fiez pas aux apparences, répondit Hannah d’une voix tremblante. Il est fort, et extrêmement dangereux. Et Ezékiel l’est encore plus. Maintenant je vous en prie, taisez-vous !

    La servante semblait terrifiée. En regardant autour d’elle, ALYS comprit que c’était le cas de tous les habitants. Les Rebelles devaient avoir instauré un véritable règne de terreur. Quand ils arrivèrent à leur hauteur, ALYS prit bien soin de ne pas lever les yeux du sol afin qu’ils ne la remarquent pas. Ils passèrent sans s’arrêter et ALYS crut qu’ils s’en tireraient sans soucis, jusqu’à ce qu’un autre événement inattendu ne se produise. Des habitants venaient de se relever parmi la foule, se ruèrent sur le chemin et, munis d’armes, tiraient en direction du groupe de Rebelles. Ceux-ci se défendirent immédiatement en activant un bouclier devant eux grâce à un mécanisme intégré à leur gant. Le bouclier, translucide, semblait uniquement composé d’énergie. Cette technologie contrastait énormément avec le reste de la ville. ALYS devina qu’ils puisaient leur force de la pierre d’onirisme qu’ils utilisaient, mais elle restait étonnée de voir qu’ils l’avaient maîtrisée à ce point.

    - Je te laisse t’occuper de ça, Kyuu, annonça calmement Ezékiel en continuant sa marche avec une demi-douzaine d’hommes.

    Le dénommé Kyuu jeta un coup d’oeil aux Rebelles qui étaient restés avec lui et qui, d’un simple signe de tête de sa part, se mirent aussitôt à tirer en direction de leurs attaquants. Plusieurs civils s’étaient mis à fuir sous les coups de feu, et Hannah tira sur les bras d’ALYS et de LEORA pour les faire se relever.

    - Il faut fuir ! Maintenant !

    Ceux qui avaient attenté à la vie des Rebelles étaient déjà soit morts, leurs corps étendus au sol, soit ils s’étaient mêlés à la foule qui fuyait en tout sens. ALYS jeta un dernier regard à Kyuu, et elle l’entendit distinctement prononcer son ordre.

    - Tirez dans la foule. Ca leur fera une bonne leçon.

    Elle poussa un cri d’horreur lorsqu’elle vit les Rebelles tirer sans aucun scrupule sur les habitants, des femmes, des enfants, des innocents. Mais Hannah continuait de la tirer et elle finit par tourner les talons et courut à toutes jambes avec ses compagnes. Lupin s’était emmitouflé autour de sa nuque, sous sa capuche.

    - C’est horrible ! S’exclama-t-elle. Tous ces pauvres gens !

    - Ils sont stupides d’avoir tirés sur eux ! Criait Hannah en courant. On sait très bien comment leurs tentatives se finissent ! Les Rebelles sont sans pitiés !

    Ils ne s’arrêtèrent de courir que lorsqu’ils pénétrèrent dans l’enceinte du château. ALYS tremblait de la tête aux pieds face à la violence de la scène qu’elle venait de vivre.

    - Ils ont tirés dans la foule alors qu’ils savaient très bien que les coupables n’y étaient plus ! S’offusqua LEORA, toute aussi retournée.

    - Ils font ça pour nous dissuader de tenter de nous opposer à eux, expliqua Hannah. Ils font d’ailleurs régulièrement des exécutions publiques, pour sans cesse nous rappeler notre infériorité face à eux.

    Elle les fit s’asseoir dans une salle de réception, et d’autres servantes les accueillirent en leur offrant une boisson chaude. Les cris de peur et de douleur de la foule retentissaient encore dans leurs oreilles. Combien de vies innocentes avaient été fauchées lors de cette fusillade ?

    - Vous comprenez maintenant pourquoi personne ne tente de libérer notre roi et la princesse. Seuls quelques fous lancent des attaques isolées pour tenter d’assassiner Ezékiel. Mais très peu de gens soutiennent leurs actions, nous avons tous trop peur qu’une scène comme aujourd’hui ne se reproduise.

    ALYS serra sa tasse de vin chaud entre ses doigts.

    - Pouvez-vous nous en dire plus sur eux ? Qui est ce Ezékiel qui a pris le pouvoir ?

    - Personne ne le sait, reconnut Hannah. Il est arrivé de nulle part, avec la puissance de cette pierre magique. En un rien de temps, il a rassemblé des partisans et, quelques jours après, ils sont venus attaquer le château.

    La servante grimaça, cet épisode semblait encore bien trop ancré dans sa mémoire.

    - Vous connaissez le résultat de cette attaque. Depuis, c’est Ezékiel qui dirige le royaume. Il anéantit quiconque oserait s’opposer à lui, et il aime vivre dans le luxe. Ce n’est qu’un tyran qui ne se soucie pas du tout du peuple, nous ne sommes que des fourmis qu’il peut écraser à sa guise. Tout ce qui l’intéresse, c’est de continuer d’étendre sa domination et son pouvoir.

    ALYS hocha la tête. Voilà donc l’ennemi auquel ils devront faire face. Faisait-il partie de la Conjuration ? D’une manière ou d’une autre, elle le trouvait trop louche pour être simplement attiré par la domination de Talia.

    - Et que pouvez-vous nous dire du commandant, Kyuu ?

    - C’est un sale traître ! S’exclama tout à coup Hannah en frappant violemment la table de ses poings. Il travaillait au château. C’est grâce à lui que les Rebelles ont pu entrer si facilement ! Il est reparti avec eux, et depuis il a obtenu cette place de commandant. Ezékiel ne fait jamais le sale boulot en public, c’est toujours Kyuu qui s’en occupe, mais ça ne semble pas le déranger du tout. Vous n’imaginez pas tous les actes horribles qu’il a déjà accompli malgré son jeune âge.

    ALYS hocha à nouveau la tête. Quelque chose l’étonnait dans cette histoire, mais elle laissa la servante continuer ses explications.

    - Ezékiel et Kyuu sont les plus dangereux, affirma Hannah. J’ignore si c’est grâce à cette pierre, mais ils sont incroyablement puissants. Les autres Rebelles ne surpassent nos soldats qu’à cause de leur équipement supérieur au nôtre.

    Elle observa tour à tour ses hôtes, même Lupin. Elle semblait désespérée.

    - Pouvez-vous nous aider ?

    - Nous libérerons le roi et la princesse, affirma LEORA. Nous devons discuter avec la Alys de ce monde. Si vous nous aidez à obtenir le soutien des soldats, nous attaquerons ensemble les Rebelles et nous vaincrons !

    ALYS ne la contredit pas. Même si elle préférait éviter la violence, si elle voulait retrouver son incarnation, elle ne voyait pas d’autre solution que de s’opposer aux Rebelles. Et maintenant qu’elle savait ce qu’ils faisaient subir aux habitants, elle ne souhaitait que d’aider ces derniers à se défendre. Quand Hannah les laissa seuls pour préparer le dîner, c’est LEORA qui fit la première la remarque qui avait étonné ALYS un peu plus tôt.

    - Nous avons déjà rencontré ce garçon, Kyuu, dans un autre monde, rappela-t-elle.

    - Oui, je m’en souviens aussi, ajouta Lupin. Sur Enyria, n’est-ce pas ?

    - Mais ils étaient deux, continua LEORA. Il avait un frère jumeau. Tu avais beaucoup sympathisé avec eux, n’est-ce pas ALYS ?

    - Oui. Ils nous avaient grandement aidés sur Enyria lorsque nous avions eu besoin d’eux.

    - Alors, ce Kyuu serait une autre incarnation, comme le Kyuu d’Enyria ?

    ALYS hocha la tête, continuant sa propre réflexion.

    - Ce n’est pas tout. J’ai également déjà vu Kyuu quelques fois dans mes rêves, certaines de mes incarnations l’ont déjà côtoyé également. Mais il n’est jamais seul. D’habitude, il a toujours un frère jumeau, Roku.

    - Ce n’est peut-être tout simplement pas le cas dans ce monde, remarqua LEORA.

    - Je mettrais ma main à couper que si, rétorqua ALYS. Ce fait est tellement récurrent que je n’imagine pas qu’il n’existe pas un Roku dans ce monde, et il doit être d’une manière ou d’une autre très lié à Kyuu.

    - As-tu déjà vu un Kyuu aussi violent dans tes rêves ? Interrogea alors Lupin.

    Cette fois, ALYS secoua tristement la tête.

    - Il n’est pas toujours très agréable car il n’a pas un caractère facile, mais dans le fond c’est quelqu’un de bien.

    - Et bien, il faut croire que dans cette dimension, ce ne soit pas un ange, conclut LEORA.

    <o>

    Alys suçotait doucement le bout de son crayon, les yeux fixés sur l’énoncé qu’elle devait résoudre. Le problème était complexe mais, en décortiquant l’énoncé, elle isola et résolu mentalement chaque difficulté l’une après l’autre. Lorsque la procédure pour trouver la solution fut claire dans son esprit, elle se mit à écrire rapidement. Elle était seule dans son appartement deux pièces, qu’elle louait le temps de finir ses études. C’était petit et modeste, mais elle n’avait pas besoin de plus. Sur le coin de son bureau, se trouvait un cadre avec une photo d’une autre étudiante de son âge, la chevelure rougeoyante, qui avait passé son bras par-dessus Alys. Les deux jeunes filles riaient, visiblement heureuses. Une autre photo plus petite se trouvait juste à côté, dévoilant cette fois une Alys bien plus jeune, montrant avec bonheur et fierté à l’objectif un petit chaton à l’air grognon. Derrière elle se trouvait un immense sapin de Noël.

    La jeune fille avait fini de résoudre le problème et observait ses photos avec nostalgie. Dans quelques mois, elle finirait ses études à l’étranger et pourrait enfin retrouver ses amis. Jamais elle n’aurait cru qu’ils pourraient lui manquer à ce point. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits. Ce n’était pas le moment de flancher ! Alors qu’elle allait se pencher sur le prochain énoncé, la sonnette de son appartement retentit. Etrange, pensa la jeune étudiante en vérifiant l’heure sur sa montre. Elle donnait régulièrement des cours particuliers pour se faire un peu d’argent de poche, mais elle n’attendait personne aussi tôt. Elle se leva et, traversant l’appartement, alla ouvrir à ses visiteurs. Il s’agissait bien de deux élèves plus jeunes auxquels elle donnait parfois quelques cours. Des jumeaux parfaitement identiques, si bien qu’elle avait bien du mal à les différencier. Ils avaient les mêmes cheveux verts légèrement décoiffés, les mêmes yeux rouges qui fuyaient son regard, la même taille, la même corpulence. Seul leur caractère permettait de réellement les différencier à coup sûr.

    - Qu’est-ce qu’il vous est arrivés ?! S’étonna l’étudiante.

    En effet, elle comprit du premier coup d’oeil qu’ils n’étaient pas venu à l’avance uniquement pour leurs cours particuliers. Ils n’avaient en réalité pas l’air en très bon état. L’un tenait douloureusement son bras écorché, comme si il était tombé à vélo. Mais on ne pouvait ignorer que l’autre avait dû se faire rouer de coups. Sa lèvre saignait, il avait une profonde entaille près de son œil, et il n’arrivait pas à cacher qu’il avait mal partout.

    - Peu importe, répliqua le plus mal en point. Roku est blessé, tu n’aurais pas du désinfectant ?

    - Entrez.

    Elle laissa entrer les jumeaux à l’intérieur, les fit s’asseoir dans son divan puis alla chercher sa boite de premiers soins.

    - Ce sont encore les mêmes élèves qui vous ont fait ça ? S’inquiéta-t-elle en revenant près d’eux. Ils ont été beaucoup trop loin cette fois !

    - Qu’est-ce que ça peut te faire, de toute façon ? Répondit simplement Kyuu avec agacement. Dépêche-toi plutôt de regarder le bras de Roku.

    C’était bien le style de Kyuu, l’aîné des jumeaux, de lui parler de cette façon alors qu’elle était plus âgée que lui. Cela lui arrivait souvent lorsqu’il était de mauvaise humeur. Il faisait toujours passer son petit frère avant lui également, malgré qu’il avait tout autant besoin de soins.

    - Non, occupe-toi d’abord de Kyuu, intervint Roku. Comme il me protégeait, il a reçu beaucoup plus de coups que moi. Et sa blessure à l’oeil m’inquiète…

    Roku, le cadet, était d’une grande gentillesse, mais il était également très timide et effacé. Lui aussi faisait tout pour faire passer son jumeau avant lui. Mais Kyuu était bien plus insistant. Alys donna alors une compresse à l’aîné pour qu’il puisse appuyer sur sa blessure à l’oeil qui saignait encore. Pendant ce temps, elle entreprit de désinfecter le bras du cadet.

    - Vous devriez en parler à un professeur…

    - Tu crois qu’ils ne sont pas au courant de la situation ? Ironisa l’aîné d’un air mauvais. Ils préfèrent faire comme si ils ne voyaient rien.

    - A vos parents alors ?

    - Qu’est-ce que ça changerait ? Ils n’ont pas l’argent pour nous mettre dans une meilleure école.

    Roku grimaçait de temps en temps mais ne disait rien, toujours très silencieux. Il évitait le regard de la jeune fille, semblant honteux qu’elle les voie dans cet état. Elle soupira doucement. A force de leur donner cours au fil de l’année, elle avait finit par découvrir qu’ils se faisaient régulièrement harcelés dans leur école. Leur famille était pauvre et ils avaient été placés dans une école de très mauvaise réputation, et leur apparence frêle et leurs attitudes timides avaient fait d’eux des proies faciles. Alys savait d’ailleurs que ce n’était pas leurs parents qui leur payaient ces cours particuliers, mais elle ignorait comment les jumeaux obtenaient cet argent.

    Comme elle les voyait régulièrement, elle avait réussi à gagner leur sympathie et elle parvenait de temps en temps à leur arracher des confessions, mais ils restaient toujours très fermés sur certains sujets. Elle désirait les aider du mieux qu’elle le pouvait, mais elle ignorait comment les sortir de cette situation, alors elle essayait au moins d’être là lorsqu’ils avaient besoin d’elle.

    Lorsque le bras du cadet fut bandé, elle s’occupa de l’aîné. Sa blessure et sa lèvre avaient cessé de saigner. Elle se sentit soulagée de remarquer que, une fois le sang nettoyé, la blessure à l’oeil semblait moins impressionnante. Il n’aurait pas besoin de points de sutures. Alors qu’elle nettoyait doucement le contour de son œil, Kyuu se remit brusquement à parler.

    - Les humains sont tous pourris. Je les hais tous.

    Alys ne sut ce qui l’étonna le plus. La haine dans les propos d’un si jeune étudiant, ou le fait que la même haine brillait avec une telle intensité au fond de ses yeux.

    - Même moi, tu me hais ? Demanda-t-elle pour essayer d’adoucir ses paroles.

    - Toi, tu es juste trop gentille, répondit-il avec évidence. Tu es comme un ange qui veut aider tout le monde. Mais ce n’est pas possible. D’ailleurs, dans quelques semaines, tu rentreras dans ton pays n’est-ce pas ? Ca ne vaut pas la peine qu’on s’attache à toi.

    - Ne dis pas ça…

    Elle avait finit de soigner son visage et voulut jeter un coup d’oeil à son bras qui lui semblait douloureux, mais il le retira brusquement.

    - Le reste, c’est juste des bleus, ça ira.

    Il jeta un regard au bras de son frère, s’assurant qu’il n’avait plus besoin de rien.

    - Je voudrais être plus fort. Je voudrais tellement être capable de détruire tous ceux qui veulent nous faire du mal !

    Alys ne sut que dire pour le réconforter, un peu effrayée par les propos qu’il tenait avec une telle froideur dans le regard. Mais c’est Roku qui finit par intervenir, passant doucement ses bras autour de son frère pour ne pas lui faire mal, et le serra contre lui.

    - Tu es déjà fort, c’est toujours toi qui me protège. Je suis tellement désolé pour ça, moi aussi je voudrais être plus fort pour te protéger... Mais faire du mal aux autres ne nous attirera que plus d’ennuis.

    Aussitôt, le regard de l’aîné s’adoucit.

    - Je le sais bien, je disais ça comme ça…

    - En plus, si on continue d’avoir de bons résultats, on aura sûrement une bourse pour l’année prochaine, continua le cadet en le relâchant. On pourra alors changer d’école. On doit juste prendre sur nous encore quelques semaines.

    - Oui, tu as raison.

    Alys ne put s’empêcher de sourire. En quelques mots, Roku avait complètement balayé toute la haine qui commençait à envahir son frère. Il avait un véritable pouvoir pour l’apaiser. De son côté, Alys savait ce qu’il lui restait à faire.

    - Avec moi comme professeur particulier, vous l’aurez à coup sûr cette bourse. Remettons-nous au travail dès maintenant !

    ALYS ouvrit les yeux. Etait-ce parce qu’elle était si troublée par le comportement de Kyuu dans ce monde qu’elle avait rêvé d’une de ses incarnations qui connaissait les jumeaux ? Elle se redressa, se remémorant ce qu’elle venait de voir au travers des yeux de cette Alys si studieuse. Le Kyuu de ce monde avait également de dangereuses tendances à se laisser envahir par la haine. Mais il ne se laissait pas consumer par elle. Parce qu’un élément important l’empêchait de sombrer, l’apaisait quand il le fallait. Cet élément important, c’était son frère, Roku.

    <o>

    Le lendemain, après le petit-déjeuner, Hannah avait rassemblé plusieurs soldats fidèles autour d’ALYS, LEORA et Lupin. Vladimir et Kyle, les soldats qu’ils avaient déjà rencontrés la veille, faisaient également partie de ce groupe.

    - Si je comprends bien, vous souhaiteriez que nous collaborions pour libérer le roi et la princesse, résuma l’un des soldats d’un air peu convaincu.

    - Nous sommes des guerrières entraînées, précisa LEORA.

    - Même si vous arrivez par miracle à les libérer, Ezékiel les récupérera très vite, remarqua un autre soldat.

    - Notre but n’est pas seulement de les délivrer, mais également de mettre la main sur la pierre d’onirisme, expliqua ALYS. Sans elle, ils perdront leur avantage sur vous.

    - Nous ne souhaitons pas mener une attaque de front, expliqua LEORA. Nous agirons de nuit, le plus discrètement possible.

    - Le manoir n’en reste pas moins bien gardé, expliqua le premier soldat. Plusieurs Rebelles dont le commandant Kyuu y vivent également. Si nous nous faisons repérer, nous serons en très mauvaise posture.

    - Si un combat s’engage, ALYS et moi nous occuperons de Ezékiel et de Kyuu. Vous ne devrez tenir tête qu’aux simples soldats Rebelles. Nous vous fournirons également un bien meilleur équipement, vous ne serez plus aussi désavantagés face à eux.

    Plusieurs soldats s’échangèrent des regards. Visiblement, ils étaient enthousiastes à l’idée de prendre le dessus sur les Rebelles, mais ils semblaient ne pas savoir si ils pouvaient reposer leurs espoirs sur ces deux inconnues.

    - Ce sont des Championnes choisies pour parcourir l’Intermonde, remarqua alors Vladimir. Notre princesse est l’incarnation de l’une d’elle. Si ce n’est pas l’aide tant espérée que nous attendions, je ne sais pas quand elle arrivera !

    Plusieurs soldats hochèrent la tête en échangeant quelques mots approbateurs, le mot « Championne » ressortant distinctement.

    - Alors, qui est avec nous ?! Lança LEORA à l’assemblée.

    Tous les soldats l’acclamèrent. Maintenant qu’ils avaient une équipe, formée de vingt soldats, ALYS et LEORA purent mettre au point leur plan. Les soldats leur partagèrent tout ce qu’ils savaient sur le manoir et ses occupants. Vu le nombre restreint de Rebelles vivant dans le manoir, ils seraient manifestement en avantage numérique si cela venait à mal tourner. Pour l’attaque, les soldats devraient se contenter de leurs propres armes, mais les équipements de défense qu’ALYS et LEORA possédaient dans l’Aurore leur seraient d’une grande utilité.

    Ils passèrent la journée à se coordonner, puis la soirée à se reposer. Le plan ne pouvait se dérouler que de nuit. Lorsque les soldats se retirèrent, ALYS remarqua que Kyle traînait pour être le dernier à partir. Il s’avança alors vers LEORA, son air toujours renfrogné ne pouvant cacher une certaine appréhension. ALYS sourit et se concentra à nettoyer son épée pour leur laisser une impression d’intimité, non sans tendre l’oreille pour ne rien rater de leur conversation.

    - Je suis heureux d’être en duo avec vous, dit le soldat pour entamer la conversation. Si les choses venaient à mal tourner, je vous protégerai quoi qu’il arrive.

    - Si les choses venaient à mal tourner, c’est moi qui vous protégerai tous, remarqua LEORA. Ne me sous-estime pas, petit.

    Kyle n’était pas réellement plus petit qu’elle, mais il était plus jeune de trois ans. Il se renfrogna un peu plus, ce qui devait être sa façon d’être gêné. ALYS leva les yeux au ciel face au comportement de son amie. Il était tellement évident que son intention n’était pas de la sous-estimer !

    - Je ne voulais pas dire ça, balbutia-t-il finalement. Mais si, si, vous vous retrouviez en difficulté, je serai là.

    LEORA haussa un sourcil, puis lui tendit la main.

    - Il est important dans un duo de s’entraider. Ensemble, nous réussirons cette mission.

    - Oui ! Fit Kyle en lui serrant la main tendue.

    Il s’éloigna alors, l’air assez satisfait, pendant que LEORA retournait auprès d’ALYS.

    - Je crois que tu lui as tapé dans l’oeil, remarqua la fille à la chevelure bleutée en la taquinant.

    - Il est jeune, répondit simplement LEORA.

    - Pas tant que ça.

    - Si. Ca se voit. Comme il manque d’expérience dans les batailles, il est encore insouciant.

    - On ne parle pas d’une bataille, LEORA.

    Les deux amies se taquinèrent quelques instants, relâchant la pression avant la mission du soir. C’est LEORA qui finit par changer de sujet.

    - Où est Lupin ?

    - Sans doute déjà à table.

    La jeune femme soupira.

    - Les servantes le gâtent trop. Il ne voudra plus les quitter.

    Ce soir-là, ALYS, LEORA et Lupin dînèrent à nouveau avec les servantes du château. Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls avec Hannah, ALYS tenta d’éclaircir le point qui la perturbait depuis le début.

    - Tu as donc connu Kyuu pendant qu’il travaillait ici.

    - Oui. Je n’étais cependant pas très proche de lui, je ne sais que très peu de choses à son sujet.

    - Sais-tu si il vivait seul ? Ou avait-il de la famille, par exemple… un frère ?

    Hannah, semblant surprise par sa question, hocha la tête.

    - Il avait effectivement un frère. Un frère jumeau. Ils travaillaient ensemble au château. Vous sembliez vous en douter ?

    - Pas spécialement, répondit ALYS. Mais pourquoi ne pas nous en avoir parlé ?

    - Ca ne me paraissait pas très important. D’ailleurs, ce frère jumeau, qui s’appelait Roku, a complètement disparu lorsque Kyuu a rejoint les Rebelles. Personne ne l’a jamais vu aux côtés des Rebelles, ni au contraire tenter de faire revenir son jumeau de notre côté. Peut-être s’est-il enfui en apprenant ce que son frère s’apprêtait à faire, ou peut-être est-il même mort.

    Ce détail ne devait en effet avoir que peu d’importance pour les habitants de ce royaume. Mais pour ALYS, il s’agissait là de la confirmation de ses hypothèses. Elle remercia la jeune servante pour ces informations, et cette dernière prit congé.

    - Tu avais raison, ALYS, reprit LEORA lorsqu’ils furent seuls. Roku était bien son frère jumeau dans cette dimension aussi. Mais à ton avis, pourquoi a-t-il laissé Kyuu mal tourner ainsi ? Se seraient-ils disputés ?

    ALYS prit du temps pour répondre, regardant son reflet dans la vitre rendue opaque à cause de l’obscurité de la nuit à l’extérieur.

    - Dans tous mes rêves où je les ai aperçus, ils étaient non seulement jumeaux, mais également inséparables. Le fait que Roku ne se trouve pas auprès de Kyuu ne peut vouloir dire qu’une seule chose pour moi.

    Elle se tourna à nouveau vers ses compagnons. Lupin hocha la tête d’un air entendu.

    - Tu penses que le Roku de cette dimension est bel et bien mort, n’est-ce pas ? Conclut le félin.

    - Oui. Comme je retrouve toujours certaines caractéristiques dans mes incarnations, je ne peux croire que Roku vivrait si longtemps sans se soucier de ce que deviendrait son frère. De plus, cela explique le comportement de Kyuu aujourd’hui. La perte de son jumeau a dû complètement le déstabiliser. Il s’est laisser envahir par le désespoir et la haine. Ezékiel en a profité pour faire de lui un commandant parfait qui, sans aucune raison de vivre, obéit à tous ses ordres et tente de noyer sa souffrance en faisant souffrir les autres.

    - Ca tient la route, reconnut son amie.

    - C’est pourquoi, j’aimerais tenter de discuter avec Kyuu.

    LEORA croisa les bras, comme si elle savait pertinemment comment cette discussion allait tourner.

    - Tu as entendu Hannah raconter ce que les Rebelles avaient déjà fait ? Ce qui lui avait déjà fait ?

    - Repense à Drakaina, intervint Lupin. Même si elle est une de tes incarnations, regarde où la haine l’a menée. Tu ne connais pas assez son incarnation pour être sûre de trouver les bons mots.

    - Je pense au contraire que je le comprends assez bien, répondit la jeune femme à la tresse.

    Brusquement, sans que rien ne le laisser présager, ALYS se sentit envahir par l’émotion. Elle repensait à ses rêves, aux jumeaux qui vivaient dans une si parfaite complicité. Elle imagina la douleur de chacun d’entre eux si ils se retrouvaient dans cette situation où ils seraient si cruellement séparés. Elle pouvait parfaitement ressentir leur souffrance, leur désespoir de perdre l’être le plus important pour eux. Ravalant cette tristesse, elle continua de répondre à ses amis.

    - Je veux au moins tenter de remettre sur le bon chemin ceux qui ont un bon fond, mais dont la vie a été cruelle avec eux. Je ne veux pas que les mêmes erreurs qu’avec Drakaina ne se reproduisent.

    - Si tu arrives à le convaincre de rejoindre notre cause, grâce à lui et à ses connaissances sur les Rebelles, nous pourrons prendre l’avantage sur eux à coup sûr, remarqua Lupin.

    - Seulement si il y a encore quelque chose à raisonner en lui… Souffla LEORA.

    - Si il refuse… Je sais ce qu’il me restera à faire, les rassura la Championne.

    <o>

    Peu après minuit, le groupe de soldats mené par ALYS et LEORA s’était rassemblé devant l’imposant manoir d’Ezékiel. Lupin était resté au château auprès des servantes pour veiller sur elles. Comme les soldats l’avaient prévu, la porte était gardée par deux Rebelles. C’était la partie la plus délicate de la mission. Si ils rataient leur coup et que l’un des garde sonnait l’alerte, ils courraient à leur perte. C’est Kyle et Vladimir qui s’étaient portés volontaires pour cette mission périlleuse. Ils devaient agir avec discrétion, précision, rapidité, et surtout, en parfaite synchronisation. Heureusement, les soldats, bien entraînes et habitués à travailler ensemble, réussirent à contourner leurs adversaires par les jardins sans se faire remarquer et les assommèrent dans un silence presque parfait. Ils traînèrent les corps derrière des buissons bien taillés pendant que le reste de l’équipe s’approchait furtivement. Vladimir avait récupéré les clés d’un des gardes et ouvrit la lourde porte. Il faisait très sombre à l’intérieur, mais visiblement, le hall était vide. Ils avaient décidé que pour plus de discrétion, seuls ALYS, LEORA, Kyle et Vladimir entreraient, les autres attendraient dehors et interviendraient à la moindre nécessité. Le petit groupe s’engouffra donc à l’intérieur et Vladimir referma la porte derrière eux. ALYS sentit son coeur rater un battement lorsqu’elle crut entendre un bruit dans le grand escalier qui se trouvait dans le hall. Elle s’immobilisa quelques instants, l’oreille aux aguets. Mais il avait dû s’agir d’un effet de son imagination car rien ne bougea en haut de l’escalier.

    Ils s’apprêtèrent à se séparer. ALYS et Dimitry devaient retrouver le roi et la princesse, la position de leurs cellules étant connue. La tâche de LEORA et de Kyle était en revanche plus ardue car nul ne savait où était gardée la pierre d’onirisme. Le premier groupe les aiderait dans ces recherches dès que les prisonniers auraient rejoint en sécurité les soldats à l’extérieur.

    Mais tout à coup, du bruit se fit entendre à l'étage et cette fois-ci, ALYS fut sûre que ce n’était pas le fruit de son imagination. Quelqu'un approchait. Kyle leur indiqua d'un signe de la main de se cacher le long de l'escalier. Ce qu'ils firent tous, ALYS restant en première position pour observer ce qu'il se passait. Il était possible qu'il ne s'agissait que d'un simple servant du manoir qui aurait eu une envie soudaine de faire une promenade nocturne. Il suffirait qu'il passe sans jeter un regard en arrière vers l'escalier...

    Mais ce n'est pas un servant qui apparut au bas des marches. La lumière du hall s'était allumée, et ALYS reconnut immédiatement le commandant, Kyuu. Il tenait par la main une petite fille qui devait avoir moins de dix ans.

    - Alors ? Lança Kyuu d’un air sec. Où as-tu vu ces ombres ?

    - Là, répondit craintivement la petite fille en pointant la porte du doigt. J'avais faim, alors j'ai voulu aller aux cuisines, mais j'ai vu de grandes ombres juste devant l'entrée...

    - J'espère pour toi que tu ne m'as pas fait me lever pour rien.

    Il s'avança vers l'entrée, tirant de manière assez brusque la petite fille avec lui. ALYS comprit immédiatement qu'il se rendrait vite compte que les gardes n'étaient plus à leur poste. Ils devaient agir, et maintenant, avant qu'il ne donne l'alerte. Ils ne pouvaient cependant pas l'attaquer comme ils avaient attaqué les gardes. Ils ne pourraient l’avoir par surprise, et les bruits de bataille préviendraient tout le manoir. De plus, la petite fille les gênait. Il était donc temps pour ALYS de tenter de discuter avec lui.

    - Je suis ici, Kyuu.

    Elle s'était glissée hors de sa cachette, ses compagnons restant à leur place. Kyuu s'était retourné brusquement, attirant la fille devant lui. Le fait qu'il se servait sciemment d'elle comme otage sauta alors aux yeux de la Championne. Il était parfaitement conscient que la garder près de lui lui assurait une protection en cas d'embuscade, les soldats du roi ne prendraient pas le risque de tuer une enfant.

    - La princesse ?! S'étonna Kyuu, aussi surpris que si il avait vu un fantôme. Ce n'est pas possible ! Comment... ?

    - Je ne suis pas la princesse. Je m'appelle ALYS, et je suis la Championne de l'Intermonde.

    Heureusement, Kyuu semblait trop étonné pour donner l'alerte. Il se contentait de la regarder suspicieusement.

    - L'Intermonde ? Jamais entendu parler.

    - L'Intermonde est le nom donné à l'ensemble de toutes les dimensions. La princesse que tu connais est mon incarnation dans cette dimension. Mais il en existe d'autres, vivant chacune dans divers mondes de l'Intermonde.

    Kyuu fronça les sourcils, comme si il venait de se souvenir de quelque chose.

    - Oui... J'ai déjà entendu mon Maître parler de ces mondes.

    Il fit alors un geste vers son gant, plus que probablement pour contacter des renforts.

    - Non, attends ! L’interpella ALYS. Je voulais m'entretenir avec toi.

    - Avec moi ?

    Il suspendit son geste. Visiblement, il conclut qu'il pouvait encore satisfaire sa curiosité avant d'appeler les autres car il rabaissa son bras. La petite fille, muette de peur, restait à ses côtés.

    - Oui. Je suis venue sauver la princesse, le roi... et toi.

    Cette fois, Kyuu ne montra pas sa surprise. ALYS pouvait à présent observer à quel point son regard était froid. Il avait l'air d'attendre la suite des paroles de cette étrange inconnue, alors elle continua sur sa lancée.

    - J'ai déjà rencontré d'autres Kyuu. D'autres de tes incarnations. Ainsi que celles de ton frère jumeau, Roku. Mes incarnations vous apprécient, et moi aussi. C'est pour ça que je veux te sauver. Je sais que tu n'as pas un mauvais fond.

    - Pas un mauvais fond ? Tu n'es pas au courant de tout ce que j'ai déjà fait dans ce royaume ?

    - Tu as fait des erreurs. Mais il n'est pas trop tard pour te racheter. Je suis sûre que c'est ce que Roku voudrait aussi. Aide-nous à libérer ce royaume de la terreur des Rebelles. Je te comprends, grâce à mes incarnations je sais que tu n’es pas quelqu’un de mauvais. Tu es juste perdu, et tu souffres. Mais je peux t’aider. Laisse-moi une chance de te remettre sur le bon chemin, comme Roku le souhaiterait.

    A présent, de l'agacement et de la colère se reflétaient dans les yeux du commandant, ainsi qu’une pointe de dégoût.

    - Tu ne me connais pas. Tu ne connais pas Roku. Tu ne sais rien de nous. Tu débarques en sortant de nulle part en prétendant que tu me comprends. Et je devrais avoir envie de t'aider à sauver ce royaume ?!

    - Je te l'ai dit, dans d'autres mondes...

    - Mais je me fous complètement des autres mondes ! L’interrompit le commandant, sa colère explosant subitement. Ce qui compte, c'est ce qui se passe ici ! Est-ce que les Kyuu des autres mondes feraient ça ?!

    Il sortit le pistolet attaché à sa cuisse et, avant qu'ALYS ne puisse comprendre l'horreur qu'il s’apprêtait à commettre et l'en empêcher, il tira sur la petite fille.

    - Non !!!

    Heureusement, LEORA n’avait cessé d’être sur ses gardes. Elle avait tiré au moment-même où elle comprit ce qu’il se passait. Le pistolet de Kyuu retomba un peu plus loin au sol. La petite fille, bouche bée, semblait secouée, mais indemne, la balle l’ayant ratée de peu. LEORA, Kyle et Vladimir sortirent de leur cachette, ce dernier envoyant le signal au reste des soldats à l’extérieur. Maintenant que des coups de feu avaient retenti, la discrétion n’était plus de mise. En effet, des Rebelles apparurent également en haut de l’escalier. Ils crièrent des ordres, commençant à s’organiser. Pendant ce temps, ALYS avait dégainé l’épée de l’Intermonde et se jeta sur Kyuu pour l’éloigner de l’enfant, le jeune garçon reculant pour échapper à la lame.

    - Enfuis-toi ! Hurla-t-elle à l’intention de la petite fille.

    Celle-ci retrouva l’usage de ses jambes et courut vers les Rebelles. Heureusement, ceux-ci la laissèrent monter l’escalier sans faire attention à elle.

    Le commandant avait sortit son poignard et para la lame de la Championne. Il s’était mis à rire, bien qu’il ne semblait ressentir aucune joie.

    - Tu vois, tu ne me connais pas ! Alors, tu penses toujours que tu peux me sauver ?

    ALYS frappa avec l’épée de l’Intermonde, mais Kyuu la para à nouveau puis, avec une agilité et une vitesse déconcertante, donna un coup de genoux dans le ventre de la Championne. Celle-ci en eu le souffle coupé, mais déjà Kyuu repassait à l’attaque et d’un coup dans le dos, envoya la jeune femme au sol. Aussitôt, LEORA intervint. Elle frappa de toutes ses forces avec son épée, mais le commandant l’évita d’un saut en arrière. Les lames de l’épée et du poignard s’entrechoquèrent à plusieurs reprises. Autour d’eux, les soldats et les Rebelles avaient également commencé à se battre. Des coups de feu retentissaient, mais la plupart en étaient venu aux mains et aux épées, les soldats du roi possédant de meilleurs équipement de défense. ALYS s’était redressée. LEORA venait de se prendre un coup de pied qui la fit reculer de quelques pas, mais ce n’était pas ce qui allait la décourager et elle s’apprêta à repasser à l’attaque.

    - Attends, LEORA ! Intervint ALYS.

    - La discussion n’a pas fonctionné, il faut agir ! Répliqua LEORA.

    - Ce n’est pas ça ! Occupe-toi de mener les soldats comme prévu et sois prête à intervenir lorsque Ezékiel arrivera. Laisse-moi Kyuu, s’il te plaît !

    Les deux femmes s’échangèrent un regard rapide. LEORA comprit et, sans perdre une seconde de plus, se mêla à la bataille générale.

    - Peu importe l’ordre, je vous battrai de toute façon tous jusqu’au dernier, remarqua Kyuu. Mon Maître n’aura pas à intervenir.

    ALYS se concentra et passa à l’attaque. Elle avait très certainement sous-estimé son adversaire, bien plus puissant que son physique laissait paraître. De plus, elle avait été troublée que la petite fille avait failli mourir par sa faute. Mais à présent, elle avait repris ses esprits et tint tête au Commandant. Avec l’épée de l’Intermonde, elle donna des coups puissants et précis. Elle réussit à désarmer Kyuu, son poignard tombant au sol dans un bruit mat. Cela ne déconcerta cependant pas ce dernier qui se jeta sur elle, attrapant son poignet qui tenait l’épée pour l’empêcher de l’utiliser. Il parvint à la désarmer également, puis s’apprêta à lui asséner un nouveau coup de genoux, mais cette fois elle parvint à le contrer. Elle lui donna un coup de pied qui le fit perdre l’équilibre et tomber en arrière. ALYS en profita pour attraper l’arme la plus proche, le poignard de Kyuu, et se jeta sur lui. Le jeune garçon se retrouva complètement au sol, sur le dos, et elle se retrouva à califourchon sur lui. Avant qu’il ne puisse réagir, elle se redressa et leva le poignard. Malgré qu’elle savait qu’elle ne devait pas hésiter, elle ne mit pas assez de détermination dans son geste et Kyuu attrapa son poignet avant qu’elle ne l’atteigne. Ils luttèrent ainsi quelques secondes, jusqu’à ce que le jeune garçon laisse échapper un rire sans joie.

    - Tu comptes donc vraiment me tuer ? Ne voulais-tu pas me sauver ? Tu as de belles paroles, mais au fond, tu ne fais que ce qui t’arrange. Tu as compris que je ne vous aiderai pas, alors tu préfères simplement m’éliminer, hein ?! Mes autres incarnations ne devaient pas être si importantes pour toi.

    Il reprenait doucement l’avantage. ALYS tint bon, sachant que c’était sans doute sa seule chance.

    - Tu te trompes. C’est parce que je ressens de la sympathie pour tes autres incarnations que je suis là. C’est parce que je veux te sauver que je te tue.

    Une émotion sourde l’envahit, et elle poussa plus fort, les larmes commençant à lui obscurcir la vue. Elle ne voyait même pas que, plus loin, LEORA retournait la situation à leur avantage.

    - Tu as laissé la haine te dominer. Chaque atrocité que tu as commise t’a éloigné un peu plus de ton humanité. Tu n’est plus qu’un monstre. Un monstre qui souffre énormément. Alors, je vais t’empêcher de te détruire davantage. Je vais mettre fin à tes souffrances. Je le fais au nom de tous les Kyuu qui n’auraient jamais voulu devenir celui que tu es devenu.

    Kyuu faiblissait, ou il était troublé par ses propos, car la lame se rapprocha dangereusement de sa gorge. Les larmes d’ALYS tombaient à présent sur les joues du jeune garçon.

    - Et comme ça, tu pourras rejoindre Roku. Je sais que, peu importe ce que tu as fait, il t’attend et t’accueillera chaleureusement. Au moins, auprès de lui, tu pourras enfin être en paix.

    Au moment où elle crut que tout serait fini, Kyuu eut une réaction tout a fait inattendue. Il se mit à nouveau à rire, de ce rire si froid, si inhumain. Il repoussa à nouveau la lame, sous le regard perdu de la Championne.

    - Tu crois que je fais ces « atrocités » parce que Roku est mort ?! Es-tu à ce point stupide ?!

    ALYS ne comprenait plus rien. Voulait-il dire que la mort de Roku n’était pas la raison de sa déchéance ?

    LEORA assomma l’un des Rebelles, puis jeta un coup d’oeil à sa compagne, inquiète qu’elle n’ait pas encore réussi à se débarrasser du Commandant. Avec l’aide des soldats, elle avait presque fini de battre les Rebelles de bas niveau, et elle pourrait alors joindre ses forces à elle pour mettre un terme à ce combat. Mais c’est alors qu’elle remarqua un nouveau danger approcher.

    - ALYS, derrière toi ! Hurla-t-elle à plein poumons.

    Mais c’était trop tard. La lame transperça la Championne de part en part. Surprise, cette dernière tourna aussitôt la tête pour voir son assaillant qui avait profité de l’agitation pour s’approcher si discrètement. Cette personne n’était autre que Roku, le Roku de cette dimension, bien vivant. Elle toussota et du sang sortit de sa bouche, puis elle lâcha le poignard et tomba lourdement à côté de Kyuu.

    - ALYS ! Hurla à nouveau LEORA.

    La Championne n’avait pas encore perdu connaissance. Complètement chamboulée, elle observait Roku qui semblait tout aussi choqué par ce qu’il venait de faire. Il portait de simples vêtements de civils et ne semblait posséder comme arme que l’épée qu’il venait de ramasser pour l’attaquer. Kyuu s’était relevé et s’était approché de lui, l’air visiblement réprobateur.

    - Roku, qu’est-ce que tu fais ici ?! Je t’avais dit de ne jamais venir en zone de combat !

    - Mais Ambre a dit que tu étais en situation difficile. Et quand je suis arrivé, cette femme te menaçait avec ce poignard, je ne pouvais pas rester sans rien faire ! Mais qui est-ce ? Elle ressemble tellement à la princesse !

    L’hypothèse de ALYS était donc inexacte. Et c’est cette erreur qui lui valait d’être à présent étendue au sol, mourante.

    - Peu importe, retourne immédiatement te mettre à l’abri !

    La plupart des Rebelles étaient à présent battus. Mais les soldats avaient remarqué qu’ALYS n’était plus en état de combattre.

    - La Championne est à terre ! Cria l’un d’eux.

    - Nous ne pouvons pas reculer maintenant, nous n’avons jamais été aussi près de gagner !

    - Tuez le Commandant !

    Kyuu attrapa son frère et se plaça devant lui, les protégeant d’un bouclier au moment même ou les soldats se mirent à faire feu. LEORA vit Kyle les contourner discrètement et se préparer à les attaquer par derrière. Elle sut tout de suite que ce n’était pas une bonne idée, mais les balles l’empêchèrent d’intervenir. ALYS se protégeait faiblement la tête, luttant pour garder sa conscience. Le sang s’échappait en grosse quantité de son corps, elle avait besoin de soins d’urgence. Lorsque les tirs se turent, le soldat isolé passa à l’action. Il tira dans le dos des jumeaux à plusieurs reprises. Roku, derrière son frère et ne portant pas de vêtement militaire, se les prit en plein dos et s’effondra. Le soldat n’avait eu aucune pitié pour lui malgré qu’il ne semblait pas être un combattant, se disant que Kyuu avait commis des crimes bien pire et qu’il fallait à tout prix l’arrêter, sans oublier qu’il ne devait pas être si innocent que ça vu qu’il venait de transpercer la Championne. Il rechargea pour abattre à présent le Commandant, qui ne pourrait utiliser son bouclier pour protéger les deux côtés en même temps. Cependant, en voyant son frère s’écrouler, Kyuu hurla de rage. Son cri dura longtemps et, en relevant la tête, ALYS comprit que sa douleur était également physique. Il s’était agenouillé et tenait sa tête dans ses bras. Personne ne tira. Tous regardaient avec horreur et fascination l’étrange phénomène qui se produisit. Des vagues d’énergie semblaient s’échapper du corps du commandant. De l’énergie noire et puissante. Des vitres se brisèrent, répandant des éclats de verre sur toute l’assemblée. Le haut de Kyuu se déchira par derrière. De grandes ailes noires semblables à celles de chauve-souris venaient de pousser dans son dos. Il les déploya largement alors qu’il se redressait. Des cornes noires pointaient à présent sur sa tête. Une queue tout aussi noire était également apparue, fine et au bout en forme de flèche. Alors que tout le monde était trop abasourdi pour réagir, le démon avait déjà rejoint le soldat qui avait tiré sur son frère et le mit facilement à terre. Il appuya sur son dos avec son pied et, sans aucune hésitation, tira sur son bras qui tenait l’arme jusqu’à l’arracher. Kyle hurla de douleur. Ses compagnons se mirent aussitôt à faire feu, mais Kyuu fit à peine attention à eux. Les balles semblaient ne pas l’atteindre alors qu’il enfonçait sa main dans le dos de sa victime en le transperçant, encore et encore, les traits déformés par la haine. Le soldat était mort depuis longtemps lorsqu’une balle sembla enfin érafler le démon à la cuisse. Il laissa échapper un cri de douleur puis, en quelques battements d’ailes, il atterrit rapidement au milieu des soldats et commença à les tuer. Non, il ne les tuait pas. Il les massacrait. Bientôt, Kyuu fut entièrement éclaboussé du sang de ses ennemis. LEORA tenta d’intervenir, mais une vague d’énergie noire la repoussa violemment. Kyuu semblait vouloir achever les soldats de bas niveau avant de s’intéresser aux combattants plus puissants.

    ALYS pouvait tout observer. Malgré qu’elle se sentait partir et que la scène ne lui semblait pas réelle, elle ressentait toute l’atrocité de ce qu’il se passait. C’était un véritable cauchemar. La transformation de Kyuu lui fit immédiatement penser à celle de Drakaina, à la Présidente devenue dragon. Mais cela semblait différent ici. Kyuu ne tentait pas de faire le rituel du Seau. Qu’avait-il bien pu lui arriver ? Elle gémit en se tournant un peu pour observer Roku. Ce dernier avait perdu connaissance, mais il était toujours vivant. Ce serait tellement ironique qu’il meure au moment-même où elle avait apprit qu’il vivait encore. Ainsi donc, la haine et la colère de Kyuu pouvaient atteindre encore un niveau supérieur ? Mais qu’avait-il bien pu leur arriver dans ce monde pour qu’il devienne ainsi ? Elle regarda à nouveau Kyuu qui, au-dessus de quelques cadavres qu’il avait empilés, se redressait. Le voir ainsi couvert de sang, ses ailes déployées, au sommet de la désolation qu’il venait de créer avait quelque chose d’impressionnant. Ses yeux rouges se plongèrent dans ceux de la Championne. Il n’y avait plus rien d’humain en lui.

    LEORA s’apprêtait à repasser à l’attaque. Il n’y avait plus aucun soldat vivant, ni même en un seul morceau. Avait-elle une chance contre ce monstre ? Oui, elle devait croire en ses capacités. De toute façon, elle n’avait pas le choix. Soit elle le battait, soit elle rejoindrait la pile de cadavres. Et chaque minute qui passait mettait la vie d’ALYS un peu plus en danger. Elle allait charger lorsque Kyuu tourna la tête. ALYS l’imita aussitôt, s’arrachant un gémissement de douleur. Un homme venait de rentrer dans la salle, seul. Il était grand, les cheveux rouges sang, et des yeux aussi rouge que ceux des jumeaux. Il émanait de lui une aura de puissance et de pouvoir. ALYS reconnut aussitôt Ezékiel. Pourquoi apparaissait-il seulement maintenant, et seul ? Il continuait d’avancer, jetant des coups d’oeil autour de lui comme si il admirait le travail accompli par son subordonné.

    - Ah la la, Kyuu, tu t’es encore laissé emporter. Quand arriveras-tu à te contrôler ?

    Le jeune démon s’était envolé et vint se poser auprès de son frère. ALYS eu un mouvement de recul, mais il ne s’intéressa pas le moins du monde à elle. Malgré qu’il avait toujours son apparence de monstre, l’apparition de son supérieur semblait l’avoir fait revenir à la raison.

    - Ils ont blessé Roku ! S’offusqua-t-il, l’émotion faisant trembler sa voix.

    - Tu sais bien que cette blessure ne peut pas le tuer.

    - Mais on ressent la douleur !

    - Bien moins qu’un être humain normal, crois-moi.

    L’homme s’était également arrêté auprès de Roku et s’était penché sur lui.

    - Et vous guérissez bien plus vite qu’un humain normal aussi.

    ALYS remarqua que les balles que le Maître des Rebelles venait de prendre en main devaient être celles qui s’étaient précédemment logées dans le corps de Roku. Ainsi donc, le cadet n’était pas plus un être humain que son frère.

    - Si j’étais toi, je ne tenterais rien, dit Ezékiel sur le ton de la conversation alors que LEORA avait à peine serré son épée. Nous allons nous retirer avec notre blessé, tu ferais mieux d’en profiter pour fuir et soigner la tienne.

    Kyuu avait soulevé son frère dans ses bras, avec précaution. Au vu de la sauvagerie qu’il venait de montrer, le voir être capable d’être si délicat avait quelque chose d’étonnant.

    - Championne, reprit le Maître, tu es donc bel et bien venue pour tenter de sauver ton incarnation de ce monde, et le roi. J’espère que cette défaite t’aura bien fait prendre conscience de la différence de niveau qu’il y a entre nous. Comment espère-tu me vaincre moi, si tu es incapable de battre mes petits démons ? Rentre chez toi, et laisse-moi gouverner ce monde à ma guise.

    Il tourna les talons sans rien ajouter de plus. Avant de le suivre, Kyuu regarda ALYS de haut.

    - Tu pensais pouvoir me comprendre ou me sauver, mais tu avais faux sur toute la ligne. Il n’y a qu’un seul point sur lequel tu avais raison. Je suis un monstre.

    Ce furent les dernières paroles qu’ALYS entendit avant de sombrer dans le néant.

    Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle se trouvait dans l’infirmerie de l’Aurore. LEORA se redressa aussitôt, visiblement soulagée.

    - Comment tu te sens ?

    - Très mal, j’imagine ? Répliqua Lupin en sautant sur le lit d’ALYS. Elle s’est faite transpercée par une lame, la mission est un échec total, de nombreux soldats sont morts pour rien, et vous avez vu la différence de niveau avec les monstres que vous devrez battre.

    Alys ne répondit rien. Ses pensées étaient encore embuées, mais elle revoyait parfaitement les scènes cauchemardesques qu’elle avait vécues.

    - C’est une chance que Roku n’ait touché aucun point vital, reprit LEORA. Il ne semblait pas du tout formé pour le combat. C’est pour ça que personne ne l’a plus jamais revu, il devait rester à l’intérieur du bâtiment sans participer aux activités des Rebelles. Par contre, le fait qu’il ne sortait jamais me laisse penser qu’il ne doit pas être aussi libre que Kyuu.

    - Mais si Roku est toujours vivant, pourquoi Kyuu a aussi mal tourné ? Demanda Lupin. Et pourquoi s’est-il transformé en démon, d’ailleurs ?

    - Roku aussi est un démon, annonça ALYS en se redressant faiblement. C’est dans leurs gènes. Ils ne viennent pas de ce monde, mais de Navhee, la planète voisine de Talia. J’ai lu quelque chose à ce sujet dans un bouquin.

    Elle laissa LEORA installer un oreiller dans son dos avant de poursuivre.

    - Il s’agit d’un monde où ne vivent à présent plus que des démons. Il y avait une illustration dans ce livre, et Kyuu partageait beaucoup de similitudes avec ces créatures. J’ignore comment ils se sont retrouvés sur Talia. Vu l’aura qui émanait de lui, je suis certaine que Ezékiel est un démon de Navhee également.

    Un petit silence suivit ces paroles. ALYS se sentait abattue. Même si ils arrivaient à battre Kyuu, Ezékiel, un démon adulte avec ses pouvoirs à maturité, devait être bien plus fort que lui. Et même si Roku n’était pas un combattant, si ils s’en prenaient à son frère, ses pouvoirs risquaient de lui faire perdre le contrôle également. La gorge d’ALYS se serra.

    - Nous ne pouvons rien faire pour l’instant. Nous ne sommes pas de taille.

    L’idée d’abandonner son incarnation lui était insoutenable. Mais se jeter dans une bataille perdue d’avance ne pouvait la sauver davantage.

    - Recherchons des alliés qui pourront nous aider. Et lorsque nous reviendrons, cette fois, nous vaincrons.

    Ni LEORA, ni Lupin ne s’opposa à sa décision de fuir momentanément. Avant toute chose, ALYS devait reprendre des forces. Combien de fois avait-elle déjà été grièvement blessée depuis qu’elle avait commencé son voyage dans l’Intermonde ? Elle préféra chasser cette sombre pensée. A la place, elle repensa au livre qu’elle avait lu sur Navhee. Le deuxième peuple vivant sur cette planète avait été entièrement exterminé par les démons ou, du moins, c’est ce qui était prétendu officiellement. Mais la rumeur disait qu’une partie du peuple avait survécu, se cachant et attendant le jour où ils pourront reprendre le pouvoir sur Navhee. Si cette rumeur disait vrai, alors ces survivants devaient connaître les moyens de rivaliser avec un démon.

    ALYS ferma les yeux, trop faible pour réfléchir davantage en ce moment. Alors qu’elle se laissait emporter par le sommeil, rejoignant le Rêve, elle s’imagina un instant avec deux grandes magnifiques ailes dans le dos. Des ailes composées de délicates plumes blanches. Des ailes d’ange.


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  • Luka détestait devoir se déplacer à Edior. Le peuple qu’elle avait conquit ne l’avait jamais acceptée, bien que depuis la pendaison de la famille royale, il n’osait plus se révolter. Depuis que Miginnie récupérait une bonne partie de leurs récoltes, la région sombrait peu à peu dans la pauvreté. Luka ne s’en attristait guère. Mais il était de son devoir de montrer de temps en temps à la population qu’elle semblait se soucier de leur sort, afin d’éviter toute nouvelle rébellion.

    Cette journée-là avait bien commencé. La jeune reine avait fait des promesses, accepté la construction de nouveaux moulins pour augmenter l’offre de travail et la production de farine. Elle aurait presque pu retourner sans crainte à la capitale de son royaume. Mais cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait plus connu la sérénité. Une autre épée s’était rajoutée à celles qui pendaient déjà dangereusement au-dessus de sa tête. La fuite de Syla était une catastrophe. Tant qu’il vivait hors de sa portée, le peuple d’Edior continuait de nourrir l’espoir de le voir revenir sur le trône. Elle était furieuse contre ses chevaliers pour avoir commis une telle erreur. Syla était intelligent, bien plus que ses parents, rusé et fort. Il s’était méfié à juste titre du piège préparé et, récupérant habilement une épée, il avait battu au moins quatre hommes avant de réussir à s’échapper. Heureusement, cela n’avait pas impacté le reste du plan, et le roi et la reine finirent sur la potence. Mais la fuite du prince héritier laissait un arrière-goût de défaite dans la bouche de la reine. Il y a quelques jours, elle avait appris que Syla avait finalement refait surface. Il se trouvait à présent à Voline, et le roi Mikuo avait proposé un nouvel accord avec Miginnie. Il souhaitait garder le prince en otage afin d’être mis au même pied d’égalité que Katenze. Voline était trop petit pour représenter une menace, et si Luka tentait de récupérer le prince pour le faire tuer, elle s’attirerait encore plus la foudre du peuple, et de ses alliés. Elle n’avait donc eu d’autre choix que d’accepter, sous les mêmes conditions que la princesse Alys restée à Katenze. Luka n’avait jamais considéré cette dernière comme une menace directe. L’accord entre Miginnie et Katenze était solide et elle ne doutait pas de leur fidélité. Elle avait cependant envoyé des espions à Katenze pour vérifier que la princesse ne tombait enceinte.

    Luka soupira. Entre le vrai héritier de Miginnie qui risquait de venir réclamer son trône d’un moment à l’autre si Yuuma échouait dans sa mission, l’héritier d’Edior qui pourrait retourner Voline contre eux pour récupérer son royaume, et Alys qui pouvait également engendrer de nouveaux prétendants, elle se sentait entourée d’ennemis.

    Fatiguée, elle traversa la cour du château sans faire attention à ce qui l’entourait. D’autres personnes arpentaient la cour en tout sens dans un flux continu. C’est alors qu’une silhouette encapuchonnée se détacha soudainement de la foule et se mit à courir vers la reine, un poignard à la main. D’un coup d’oeil, Luka comprit que ses gardes étaient trop loin pour intervenir. La reine se prépara à se défendre de ses mains quand une jeune femme qui se trouvait près d’elle s’interposa. La silhouette encapuchonnée voulu la frapper pour l’éloigner, mais la femme était étrangement agile. Elle évita le coup, sortit à son tour un poignard et éventra l’agresseur. Tous les passants s’étaient éloignés de la scène de bataille, fuyant le danger. Il ne restait au centre de la cour que la reine, le cadavre de l’assaillant, et la jeune femme qui rangea son poignard. Elle avait des cheveux verts courts qui lui donnaient une impression de garçon manqué. Bigal, le capitaine de la garde, un homme à la carrure massive, approchait hâtivement avec son second, Cyman, également très musclé. Ils allaient appréhender la jeune femme, mais Luka leva la main pour leur demander de la laisser. Ils restèrent néanmoins près d’elle, prêts à la protéger du poignard que portait l'inconnue.

    - Tu m’as sauvée, la remercia la reine. Comment t’appelles-tu ?

    - Gumi, votre majesté.

    Elle semblait inquiète, pensant qu’elle aurait sans doute des ennuis d’avoir montré son poignard ou d’avoir tué un homme. Mais Luka voyait autre chose dans son regard. Elle voyait de l’admiration. Un sourire étira le visage de la reine.

    - Tu es très forte, Gumi. Qui t’a appris à te battre ?

    - Mon père. Il vend du pain aux alentours du château. Mais ces derniers temps, nous sommes souvent victimes de vol. Alors, il m’apprend à me défendre.

    - Ton père n’est-il pas le fournisseur de ce château ?

    - O-oui ! Et c’est moi qui suis chargée de livrer le pain ici, ajouta-t-elle fièrement.

    Luka lui sourit gentiment. Une jeune fille forte mais docile, qui semblait l’admirer autant que l’admirait Yukari, pourrait très bien lui être utile.

    - Serais-tu intéressée à travailler directement à mon service ? Je recherche de nouvelles servantes. Je donnerai un sac d’or à ton père en compensation, ce qui ne serait point négligeable en ces temps peu sûrs.

    Les yeux de la jeune fille s’agrandirent sous l’effet de la surprise.

    - Moi ? Ce serait… Ce serait un immense honneur… Mais je n’ai pas les manières, je ne sais pas si je pourrais...

    - Tu apprendrais très vite, tu as l’air du genre débrouillarde. A choisir entre une servante connaissant tous les us et coutumes de la cour sur le bout des doigts, et une servante capable de me protéger des agresseurs, mon choix est vite fait.

    La reine se tourna vers Cyman.

    - Escorte cette jeune fille jusqu’à son père. Prends un sac d’or et fais-lui la proposition. Puis, tu aideras Gumi à transporter ses affaires. Nous partons dès demain.

    Gumi s’inclina et la remercia un nombre incalculable de fois, puis elle suivit le garde en dehors du château. Pour elle, c’était une nouvelle vie qui commençait. Fini la dure vie de paysanne, et bonjour la vie de privilèges au château. De plus, son père serait payé d’une bonne somme d’argent qui compenserait la perte de sa seule employée. La reine l’impressionnait, mais elle avait l’air très généreuse. C’était sûr, Gumi avait hâte de travailler à ses côtés.


    ***

    Une jeune fille montait un cheval blanc sur une route au sud de Miginnie. Elle était équipée d’une cape noire dont la capuche dissimulait une grande partie de son visage. En approchant du point de rendez-vous, elle ralentit l’allure. La route était déserte. Au détour d’un virage, elle aperçut l’homme qu’elle cherchait. Yuuma l’attendait déjà, sur son propre cheval d’une magnifique robe noire. Le chevalier la salua d’un simple signe de tête.

    - Rien du tout, annonça-t-elle d’emblée. Je pense qu’il s’agit encore d’une fausse piste. Ils ont été très prudents…

    - Nous ne pouvons écarter aucune piste. Et à chaque piste que nous écartons, nous nous approchons de notre but.

    Les deux cavaliers reprirent leur route ensemble.

    - Quelle est notre prochaine destination ? Demanda la jeune fille.

    - Nous passerons la nuit à l’auberge des Amants Égarés. Elle se trouve à côté du bordel du même nom. Bien que nous soyons éloignés de toute ville, il y a beaucoup de passages. T’es-tu déjà rendue dans un bordel, Ayu ?

    - Bien sûr que non, répondit la jeune fille, mal à l’aise à cette perspective.

    - Les langues s’y délient facilement. Si il nous reste un espoir que cette piste ne soit pas une fausse, c’est bien à cet endroit que nous pourrons en avoir le cœur net.

    Ils chevauchèrent deux bonnes heures avant d’arriver à l’auberge. Comme l’avait expliqué Yuuma, une autre bâtisse se trouvait juste à côté, ainsi qu’une écurie. Deux jeunes femmes frivoles firent signe de la main au chevalier en gloussant. Ayu ne put s’empêcher de les trouver jolies, elles savaient mettre leur corps en valeur. Elle détourna les yeux, gênée. Les deux voyageurs descendirent ensuite de leur monture, les laissèrent à l’écurie, puis allèrent réserver une chambre à l’auberge. Alors que le soleil se rapprochait de l’horizon, ils mangèrent avec appétit le ragoût préparé par la femme de l’aubergiste. Comme l’avait annoncé Yuuma, il y avait effectivement beaucoup de passages. Principalement des hommes de tout statut, mais Ayu remarqua que plusieurs femmes semblaient entrer en tant que clientes dans le bordel.

    - Certains prostitués de cet établissement sont des hommes, expliqua Yuuma sur le ton de la conversation.

    - Vous avez l’air de bien le connaître, remarqua Ayu sans pouvoir cacher une pointe d’amertume dans la voix.

    - Je n’y ai portant jamais mis les pieds. Mais il est très réputé.

    - Quand y allons-nous ?

    - « Nous » ?

    Ayu vida son verre d’eau d’un trait et le reposa sur la table d’un air décidé.

    - Évidemment. Je ne vais pas rester toute seule à l’auberge pendant que vous rassemblez des informations. Je pourrais être utile !

    Yuuma sembla contrarié. Il finit à son tour sa chope de bière avant de reprendre la parole.

    - Ce n’est pas un endroit pour toi. Je ne pourrai pas me renseigner et veiller sur toi en même temps…

    - Je n’ai pas besoin que vous veilliez sur moi !

    Yuuma devina qu’elle avait serré le manche de la lame attachée à sa cuisse, sous la table. Mais elle avait encore tant à apprendre... Il soupira en se grattant l’arrière de la tête. Puis, il se leva.

    - Allons-y dès maintenant.

    Surprise, Ayu se leva d’un bond et le suivit hors de l’auberge. Le soleil était couché à présent, et la jeune fille resserra la cape autour d’elle pour lutter contre le vent plus frais. Ils entrèrent sans aucune difficulté à l’intérieur du bordel. Tout en suivant Yuuma de très près, Ayu observa cet étrange endroit. Il y faisait sombre et un brouhaha constant régnait. Les clients étaient assis autour de petites tables où ils étaient servis par des femmes et quelques hommes en tenues qu’elle jugeait aguicheuses. Beaucoup de ces prostitués restaient auprès des clients pour leur faire la conversation, ou plus. Alors que Ayu regardait un homme peloter la plus grosse poitrine qu’elle n’ait jamais vue, elle heurta violemment le dos de Yuuma qui s’était arrêté.

    - Nous nous asseyons ici.

    Elle s’assit face à lui pendant qu’une femme s’approcha directement de leur table.

    - Bonsoir, mon beau. Et… Es-tu un garçon ? Une fille ?

    Avec horreur, Ayu vit deux mains se rapprocher de son visage et elle tira sur sa capuche pour mieux se cacher.

    - Mon amie est défigurée, intervint Yuuma. Elle préfère se dissimuler le visage.

    - Oh. Ne t’inquiète pas, ma petite, reprit la jeune femme en éloignant ses mains. Tu trouveras ici un amant qui te fera passer un bon moment sans se soucier de tes défauts. Que recherche-tu ?

    - Elle ne fait que m’accompagner, répondit Yuuma d’un ton ferme qui ne laissait place à aucune réplique.

    De toute façon, Ayu avait perdu le courage qu’elle avait rassemblé et ne désirait que de rester auprès du chevalier. Peut-être aurait-elle dû réellement rester à l’auberge.

    - Et toi, mon beau jeune homme ? Demanda la femme en changeant de proie. Que recherche-tu ?

    Elle s’assit sur ses genoux, laissant habilement glisser la bretelle de son haut. Yuuma lui murmura quelque chose à l’oreille et elle gloussa.

    - Très bien, dit-elle en se redressant. Je pense savoir qui pourrait vous convenir. Désirez-vous boire quelque chose ?

    - Une bière sera parfait, répondit Yuuma.

    - Pour moi aussi, répondit Ayu.

    Tandis que la prostituée s’éloignait, Yuuma sourit à sa compagne.

    - Tu bois de l’alcool, maintenant ? Ou avais-tu honte de passer pour une enfant ?

    - Je ne suis plus une enfant, j’ai déjà bu de l’alcool, répondit-elle en espérant que sa gêne ne se voyait pas trop sous sa capuche. Je n’aime juste pas le goût.

    - Fais attention, je n’ai pas envie en plus de te ramener ivre à l’auberge.

    Elle haussa les épaules alors qu’un jeune garçon s’approcha de leur table pour y déposer leur choppe de bière. Il devait à peine être majeur, si il l’était réellement, et était plutôt frêle, mais il semblait très à l’aise. Au plus grand étonnement de la jeune fille, il s’adressa à Yuuma.

    - Bonsoir, je suis Piko. Vous m’avez demandé ?

    Ayu, bouche bée, alternait son regard entre ce jeune garçon et Yuuma qui le fit s’asseoir près de lui.

    - Vous… Vous… Balbutia-t-elle.

    - Pour avoir comparé les deux, oui, je peux dire que j’ai une préférence pour les hommes. Surprise ?

    Ayu but une gorgée de sa chope pour se donner du temps, mais elle faillit s’étrangler alors elle la reposa hâtivement. Elle venait d’apprendre que l’homme qu’elle suivait depuis plusieurs mois maintenant, et qu’elle avait même trouvé plutôt beau, avait eu des relations intimes avec un autre homme. Il y avait de quoi être chamboulé. Mais en y réfléchissant bien, elle se rendit compte que ça ne changeait rien à sa détermination à l’aider dans sa quête. Alors pourquoi se soucier de ce détail ?

    - Ce n’est pas la chose qui m’ait le plus étonnée venant de vous, finit-elle par répondre.

    Yuuma sourit et recentra son attention sur son hôte. Si il voulait le faire parler, il devait montrer patte blanche. Se sentant inutile, Ayu laissa la moitié de sa chope et prit congé. Découvrir cet endroit l’avait perturbée, sans oublier la révélation inattendue sur son compagnon. Elle prit donc du temps pour s’endormir cette nuit-là. Le lendemain, elle remarqua aussitôt que Yuuma était de retour. Déjà habillé pour la journée, il semblait l’attendre.

    - Que s’est-il passé ? S’enquit-elle en repoussant la couverture et se redressant brusquement.

    - C’est une fausse piste, annonça-t-il.

    Mais Ayu voyait dans son regard que ce n’était pas tout ce qu’il avait à dire. Il souriait. Il avait une bonne nouvelle. Elle sentit son cœur s’accélérer à cette perspective, suspendue à ses lèvres.

    - Il a vu deux enfants qui correspondent exactement à nos recherches, expliqua-t-il. Il y a deux ans.

    - C’est une piste bien maigre, soupira Ayu. Ils doivent être loin maintenant.

    - Ce qui est intéressant, est qu’il sait qui se trouvait avec eux, et cela m’a fait comprendre une chose importante. Nous ne cherchons pas aux bons endroits.

    Ayu fronça les sourcils.

    - Tu m’avais dit que tu avais fait parler la directrice de l’orphelinat… Que l’homme venu chercher l’héritier était un chevalier de Miginnie…

    - Elle n’a pas menti. Du moins, elle pensait dire la vérité.

    La jeune fille écouta ce que son compagnon avait appris du jeune Piko. Si c’était la vérité, alors effectivement, suivre les chevaliers de Miginnie était une perte de temps. Si c’était la vérité, ils avaient une nouvelle piste beaucoup plus précise à suivre. Les recherches seraient encore longues, mais elle le sentait : petit à petit, ils se rapprochaient de leur but de mettre la main sur l’héritier.

    ***

    Kyo n’avait jamais réellement oublié l’affront qu’il avait subi de la part de la princesse d’Edior. Allongé sur le dos, il repensait à ce baiser trop bref, à ce corps chaud qu’il avait à peine eu le temps d’effleurer. A côté de lui, une silhouette fine dormait paisiblement, dont il ne voyait que le dos dénudé. Que n’aurait-il pas donné pour que ce soit la princesse ainsi exposée à ses côtés. Peu importe avec quelle femme il passait la nuit, c’était toujours Alys qui obsédait ses pensées.

    Will et Yuu l’encourageaient à la séduire correctement. Mais cela n’avait jusqu’à présent mené à rien. La jeune femme semblait plus attirée par les entraînements que par les hommes. De plus, mise en garde par sa dernière tentative, elle l’évitait et écourtait leurs temps passés ensembles. Kyo se retourna, tournant le dos à sa compagne éphémère, agacé. Cette situation était ridicule. Il était le prince de Katenze et aucune femme ne devrait lui résister ainsi ! Pris d’un élan de témérité, il se leva, s’habilla rapidement et quitta la pièce sans un regard pour sa partenaire. L’énervement et la frustration embuaient ses pensées alors qu’il marchait en hâte parmi les couloirs déserts à cette heure. Quelque part dehors, il entendit un hibou hululer. La nuit était tombée depuis longtemps maintenant. Bien vite, il se retrouva devant la chambre de la princesse. Un garde faisait la ronde dans cette partie du château, s’assurant de la sécurité de l’otage, mais aussi qu’elle ne s’enfuie pas dans l’obscurité de la nuit. Lorsque Kyo lui ordonna sèchement de s’éloigner, le garde ne se fit pas prier et s’éloigna le plus loin possible de la colère de son prince. Ce dernier entra alors dans la chambre. Il la traversa rapidement, se dirigeant droit vers le lit d’où il apercevait la silhouette endormie de la princesse. Arrivé à sa hauteur, il l’observa. Alys, ne l’ayant pas entendu, dormait toujours paisiblement. Un rayon de lune éclairait son visage détendu. La couverture avait glissé le long de son corps, et il voyait sa poitrine légèrement dénudée se soulever régulièrement à chaque respiration. En approchant sa main de son visage, il se rendit compte qu’il tremblait. Etait-ce l’excitation de savoir qu’enfin, cette nuit, elle serait à lui ? Puis, avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoique ce soit, la princesse se réveilla. Lorsqu’elle aperçut l’intrus dans sa chambre, elle se redressa brusquement, cherchant à mettre de la distance avec son assaillant. Sa main semblait chercher quelque chose, une arme, quoique ce soit qui pourrait la défendre. Elle reconnut alors son visiteur inattendu. Loin d’en être rassurée, elle le fixait de ses grands yeux effrayés, la respiration coupée.

    Une réalité frappa alors Kyo de plein fouet. Autant il avait envie d’elle plus que tout, autant… il ne souhaitait pas ça. Il comprenait qu’il n’en tirerait pas autant de plaisir qu’il ne le croyait. Ce n’était pas de la peur qu’il désirait voir au fond de ses yeux, mais de la passion. Il voulait qu’elle l’aime, qu’elle s’offre d’elle-même à lui, qu’elle se surpasse pour montrer toute l’envie qu’elle éprouvait pour lui. Ce n’était pas la même chose que pour ses partenaires d’une nuit, il souhaitait quelque chose de beaucoup plus fort. Il n’avait jamais ressenti ça pour une autre femme. Déstabilisé, il recula d’un pas, puis de deux. Enfin, il se retourna brusquement et s’enfuit loin de la jeune femme qui le troublait tant.

    ***

    Alys attendit de longues minutes avant d’oser à nouveau bouger. Elle ne cessait de fixer la porte, mais Kyo semblait bel et bien parti. Elle ne comprenait pas ce qu’il s’était passé dans son esprit pour le faire changer d’avis, mais ses intentions en venant ici en pleine nuit semblaient claires. Après s’être promis de toujours garder une arme sous son oreiller à présent, elle se leva silencieusement du lit et vérifia qu’une lettre se trouvait toujours cachée sous son matelas. Elle la brûlerait dès le lendemain afin d’être sûre que Kyo ne tombe dessus en fouillant sa chambre. A la lumière de la pleine lune, Alys lut une dernière fois la lettre qui lui était destinée. L’écriture familière de son frère lui avait apporté un réconfort certain. Le message était cependant très court et n’expliquait en rien le plan de Syla. Il lui demandait juste de suivre Kaito et de quitter Katenze au plus vite. De lui faire confiance.

    Je te fais confiance, Syla, pensa-t-elle très fort. Attends-moi, et vois de tes propres yeux ma détermination et le résultat de mes entraînements !


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  • Au fil des mois d’entraînements, Alys était devenue plus forte, plus agile. C’est avec une lueur de détermination dans le regard qu’elle se battait en ce moment-même à l’épée contre Leora. Maika arbitrait le combat entre les deux femmes, ravie que sa jeune apprentie arrive enfin à tenir tête à sa seconde. Leora n’était pas du genre à faire de cadeaux et ne laissait pas la moindre chance à la jeune fille à la tresse. Lors de leurs premiers affrontements, Maika avait dû à de nombreuses reprises intervenir pour arrêter leurs combats afin que l’apprentie n’en ressorte pas trop blessée. Mais c’était tout ce dont Alys avait besoin pour se surpasser. Un adversaire redoutable, sans pitié et qui la charriait sur sa faiblesse. Mais également une femme qu’elle admirait. Une étrange relation était née entre les deux jeunes combattantes, une relation qui mêlait sarcasme, dispute, respect et même amitié.

    Alys repassa à l’attaque, encouragée par ses derniers coups fructueux. Leora para, puis attaqua également. Elles étaient toutes les deux à bout de souffle et couvertes de sueur. Elles échangèrent encore quelques coups lorsque Leora arriva à désarmer son adversaire. L’épée tomba au sol dans un bruit mat, annonçant la fin du combat.

    - Bon sang ! J’y étais presque cette fois ! S’exclama Alys, déçue et contrariée.

    - Presque ? La railla Leora. Je ne me suis pas donné à fond, tu sais.

    Malgré ses paroles, la fille aux cheveux rouges avait bien du mal à récupérer son souffle.

    - Tu t’es bien battue, remarqua Maika. Tes progrès sont époustouflants, Alys. C’est comme si tu étais née pour tenir une épée en main.

    Alys rangea son épée, encore frustrée par cette énième défaite. Pourtant, elle savait que tenir tête à la seconde de l’armée de Katenze était déjà une victoire. Mais c’était plus fort qu’elle, Leora restait sa rivale. A sa grande surprise, celle-ci lui tendit la main.

    - C’était un beau combat, reconnut-elle.

    Alys serra la main tendue, heureuse de ce geste de reconnaissance.

    - Peut-être que dans dix ans, tu arriveras à me désarmer !

    Elle fit un clin d’œil et sortit de la salle. Alys leva les yeux au ciel, mais Maika avait le sourire aux lèvres.

    - C’est sa manière de te féliciter, remarqua-t-elle. Elle t’apprécie beaucoup, tu sais.

    - Je pense dans tous les cas qu’elle me déteste un peu moins qu’à notre première rencontre.

    Alys se changea rapidement, puis suivit son amie à l’extérieur.

    - Kyo est à nouveau venu me parler ce matin, raconta Alys sur le chemin.

    Sa relation avec le prince héritier était également étrange. Depuis qu’elle avait repoussé ses avances en le giflant, elle avait craint qu’il ne se venge d’une manière ou d’une autre. Mais l’annonce de la pendaison de la famille royale d’Edior l’avait sans doute convaincu de la laisser tranquille un petit temps. Alys avait en effet été ravagée par cette nouvelle. Elle s’était enfermée dans sa chambre pour pleurer pendant des jours. Puis, une lueur d’espoir était apparue. Tous les récits concordaient sur le fait que seul le roi et la reine avaient été pendus publiquement. Et bientôt, il fut confirmé que Syla, son frère aîné, avait réussi à s’échapper. Cette nouvelle avait réveillé Alys. Elle retrouva la motivation de continuer son entraînement. Elle se consacra entièrement à cet apprentissage avec un seul but. Pouvoir retourner auprès de son frère et l’aider du mieux qu’elle le pouvait à reprendre leur royaume.

    - Il tourne de nouveau beaucoup autour de toi, remarqua Maika en fronçant les sourcils.

    - Oui. Ses conversations sont toujours aussi soutenues et agréables. Mais quelque chose a changé dans son regard.

    - Méfie-toi de lui. J’ai entendu des histoires sur ce qu’il fait dans certains établissements… Ce ne sont que des rumeurs, et en tant que capitaine des gardes je ne devrais pas dire de mal du prince mais…

    - Ne dis rien dans ce cas. J’ai également entendu ces rumeurs. Dans quelques mois, on risque bien de se retrouver avec un paquet de bâtards sur les bras.

    Les deux femmes rirent brièvement, avant de se séparer, Maika devant retourner à son travail. Alys traversa une cour lorsqu’elle remarqua qu’un groupe d’écuyers s’entraînaient également au combat à l’épée. Elle s’arrêta un instant pour observer le duel en cours. Deux jeunes hommes en armures légères et casques se battaient à l’épée. Autour d’eux, la petite foule qui s’était formée, assoiffée de combats, encourageait son favori. L’un des deux, visiblement le moins aimé vu les exclamations du public, finit par enchaîner trois coups d’affilée qui firent perdre l’équilibre à son opposant. La lame se retrouva alors sous sa gorge, signifiant la fin du combat. Les deux combattants se serrèrent brièvement la main. Ensuite, le gagnant, n’accordant pas à un regard à la foule, retira son casque. Alors qu’Alys allait reprendre son chemin, elle se figea, l’observant avec plus d’attention. Non, ce devait être elle qui se faisait des idées. Mais le garçon marcha droit vers la foule, ou du moins vers une personne en particulier qui semblait le féliciter avec un grand sourire, et Alys n’eut plus aucun doute. Il s’agissait des jumeaux brigands qui l’avaient un jour lointain enlevée. Mais ils ne ressemblaient pas aux jumeaux de ses souvenirs. Elle se souvenait de deux petits garçons gringalets, portant des armures dépareillées et des armes trop grandes pour eux, avec des cheveux sales et décoiffés. Les jumeaux devant ses yeux étaient maintenant clairement des adolescents, bien qu’ils faisaient encore plus jeunes que leur âge. Celui qui s’était battu portait une armure et une épée à sa taille. Leurs cheveux étaient coupés, bien qu’encore plutôt décoiffés, et propres. Alors qu’un autre combat d’entraînement commençait et que les jumeaux s’éloignaient, Alys se dirigea droit vers eux pour les rattraper.

    - Kyuu ? Roku ?

    Les jumeaux se tournèrent en même temps vers elle.

    - Votre Altesse ! S’étonna celui aux vêtements normaux avant de lui adresser un sourire.

    - Vous avez changée ! S’étonna l’autre.

    - C’est à moi de dire ça ! Regardez, vous avez ma taille à présent !

    - Je pense qu’on vous dépasse, remarqua le jumeau en armure en évaluant sa hauteur avec la main.

    Alys souriait. On aurait dit de vieux amis d’enfance qui se retrouvaient. Elle avait passé du temps avec eux, à un moment très difficile de sa vie, et elle se rendait compte encore à présent à quel point elle avait apprécié la compagnie des jumeaux, de Kaito, et même de Yohio et de Shirosaki.

    - Mais… Qu’êtes-vous devenus ? Je ne vous ai jamais vus aux cuisines…

    - On n’y est pas resté longtemps, avoua le garçon aux habits ordinaires. Meiko nous a d’abord mis de corvées vaisselles et épluchages.

    - Gakupo est passé sur l’ordre de Kaito. Il a expliqué la situation à Meiko, qui s’est arrangée pour qu’on devienne écuyers d’un chevalier. Apparemment, elle connaît bien Kaito.

    Alys avait un peu du mal à comprendre la logique derrière cette histoire. Mais surtout, elle fut étonnée qu’ils aient encore eu des contacts avec des brigands.

    - Comme on savait déjà s’occuper de chevaux et manier des armes, être écuyers ne nous a pas posé de soucis, et on a pu continuer à s’entraîner.

    - Vous prévoyez de devenir chevaliers alors ? Demanda naïvement Alys.

    - Hein ? Non. Quand Kaito viendra nous chercher, on repartira avec lui évidemment.

    Le sourire d’Alys s’était crispé. Que venait-il de dire ?

    - Mais… Je vous ai sauvés de tout ça ! Vous êtes devenus écuyers d’un chevalier de Katenze ! Vous pourriez devenir vous-mêmes chevaliers ! Vous vous rendez compte de la chance que vous avez ?

    - Eh, on a jamais dit qu’on voulait de tout ça, remarqua le garçon en armure d’un air désagréable, et cette fois Alys reconnut à coup sûr Kyuu.

    Roku semblait plus gêné, se rendant sans doute compte de la position dans laquelle elle se trouvait.

    - On vous est très reconnaissant de ce que vous avez fait pour nous. Mais notre but dans la vie est de servir Kaito.

    - Il ne viendra peut-être même pas vous chercher !

    - En réalité, on échange encore des messages avec lui grâce son faucon, avoua Roku. Il est très curieux de ce qui se passe à Katenze. Il nous demande même des nouvelles de vous !

    Peut-être avait-il espéré qu’elle soit heureuse d’apprendre cet intérêt, mais cela eu tout l’effet inverse.

    - Donc en plus vous êtes des espions ?! J’ai plaidé en votre faveur, et vous trahissez Katenze qui vous a recueillis sans aucune honte ?!

    Roku sembla à court de mot. Il jeta un regard désespéré à son frère.

    - Et alors ? Reprit Kyuu d’un air froid. Qu’est-ce que ça peut vous faire, qu’on compte les trahir ? D’après ce que j’entends, vous n’êtes pas non plus très attachée à ce royaume. Ou alors, ces histoires d’entraînement sont du pipeau et vous comptez rester l’otage de Katenze jusqu’à la fin de vos jours ?

    - Ce n’est pas la même chose, répondit Alys en serrant les points. Vous n’êtes pas dans ma situation. Et si vous vous faites prendre, j’en payerai le prix aussi ! Alors si, je me sens concernée par votre trahison !

    - Et qu’allez-vous faire ? Répliqua l’aîné des jumeaux, visiblement énervé par cette discussion. Vous allez nous dénoncer ?

    Ils s’affrontèrent du regard quelques secondes. Les dénoncer serait la solution la plus sûre pour Alys. Avait-elle une raison de prendre leur défense ? Elle l’avait à peine revu depuis cinq minutes que Kyuu l’énervait déjà, et même Roku la décevait. Elle était tellement persuadée qu’il profiterait de cette chance pour changer de voie. D’ailleurs, d’où venait une telle loyauté envers Kaito ? Elle se tourna vers le plus jeune.

    - Tu n’avais rien d’un brigand. Je peux comprendre que tu étais reconnaissant envers Kaito de t’avoir recueilli, mais je t’ai aussi sauvé et donné une autre chance. Alors pourquoi es-tu à ce point attaché à lui ?

    Elle repensa alors à une remarque que Yohio avait faite, un soir au milieu les bois.

    - Tu es amoureux de Kaito ?

    - Hein?! S’exclama Kyuu. Non seulement vous m’ignorez, mais si c’est en plus pour sortir des absurdités…

    Mais Roku, les joues rosies, vérifiait que personne ne les entendait.

    - Peut-être un peu, avoua-t-il. J’aime beaucoup Kaito. Mais je n’ai pas besoin de plus. Je sais bien qu’il n’est pas du genre à se poser avec quelqu’un alors alors simplement rester à ses côtés me suffit.

    - Je t’ai déjà dit que ce n’était pas de l’amour, s’énervait Kyuu. C’est de l’admiration. Moi aussi je veux être utile à Kaito et rester à ses côtés !

    - Si j’étais toi je m’inquiéterais Kyuu, c’est peut-être bien de l’amour, le railla Alys.

    - Pas du tout ! Et je vous trouve mal placée pour dire ça, vous l’avez dévoré des yeux pendant tout le voyage !

    - Pas du tout ! Se défendit à son tour Alys, les joues néanmoins roses.

    Elle était inquiète. Cela s’était donc vu à ce point ?

    - C’est une princesse, Kyuu, remarqua Roku. Elle ne peut pas tomber amoureuse d’un brigand.

    La princesse en question fut, pour une raison ou une autre, bien trop agacée par cette remarque.

    - Aah, on était en train de parler de trahison et de dénonciation, reprit Kyuu en soupirant. C’était grave ! Pourquoi on se retrouve à parler d’amoureux ?

    Sans pouvoir s’en empêcher, Alys pouffa de rire. C’était vrai, c’était ridicule. Elle fut suivie par Roku, et même Kyuu eut un petit rire. Il se reprit néanmoins bien vite.

    - Mais donc, vous comptez nous dénoncer ou non ?

    - Je ne sais pas. Donnez-moi une raison de ne pas le faire ?

    - Kaito veut vous emmener avec nous, déclara précipitamment Roku.

    - Roku ! S’offusqua son aîné en se tournant vers lui, surpris. On devait attendre le signal pour l’approcher à ce sujet !

    - Mais si elle nous dénonce, tout tombera à l’eau, remarqua le cadet.

    - Elle ne nous aurait pas dénoncés, elle n’en est pas capable !

    - Je te demande pardon ? S’offusqua à son tour Alys. Un conseil, ne me tente pas trop. Je ne suis plus la femme faible d’il y a un an !

    Elle reposa son attention sur Roku. Son cœur s’était mis à battre plus vite, mais elle fit tout son possible pour ne pas montrer le trouble et l’envie que lui inspirait cette proposition.

    - Et pourquoi Kaito voudrait-il m’emmener ? Désire-t-il à nouveau une rançon ?

    - Oui. Parce qu’il sait que vous avez tout à y gagner également. Il souhaite vous aider à vous enfuir, afin de rejoindre votre frère Syla à Voline.

    C’était tout ce dont Alys rêvait. La seule question qui lui venait à l’esprit était « Quand partons-nous ? », mais elle se contrôla.

    - Je dois y réfléchir.

    - A quoi devez-vous réfléchir ? Demanda Kyuu d’un ton désagréable. On vous propose de vous libérer de Katenze, de retourner auprès de votre frère et de revoir l’homme de vos fantasmes par la même occasion.

    - Tu ne comprends pas ma position.

    - Vous dites toujours ça, grommela l’aîné des jumeaux. Expliquez-nous alors !

    - Une princesse ne devrait pas faire d’accord avec un groupe de brigands. Surtout si vous comptez m’apporter à mon frère en échange d’argent. J’ai un honneur à défendre ! Je te l’ai dit, je ne suis plus la jeune femme faible d’autrefois !

    Kyuu leva les yeux au ciel.

    - C’est si compliqué, vos histoires de nobles, remarqua-t-il. Je suis bien content de ne pas en être un. Je serais près à m’associer à tous les brigands ou à me vendre pour n’importe quelle rançon si ça me permettrait de retrouver mon frère.

    - Et si votre frère vous demandait lui-même de nous suivre ? Intervint Roku.

    - Je ne peux croire que mon frère me laisserait entre les mains de brigands…

    A son plus grand étonnement, Roku sourit.

    - Ne nous dénoncez pas, Votre Altesse. Nous enverrons une lettre à Kaito pour l’informer de la situation. Il vous écrira en personne pour mieux expliquer les termes de notre arrangement.

    ***

    A Voline aussi, les entraînements se poursuivaient. Dans la cour principale, la princesse Miku se battait en personne à l’épée contre son ami, Len. Le jeune garçon se débrouillait déjà bien, mais Miku souhaitait qu’il s’entraîne encore et encore. Tout comme Rin, qui attendait son tour sur le côté. Ayant comme meilleure amie une des meilleures épéistes de Voline, la jeune fille blonde avait déjà appris les bases du combat à ses côtés. Mais elle n’avait jamais vraiment aimé se battre, laissant ce plaisir à son jumeau. Cependant, Miku avait insisté pour qu’elle reprenne les entraînements également. Une nouvelle guerre se rapprochait, dans laquelle Voline sera inévitablement impliquée, et sa plus grande crainte était de voir des êtres chers mourir sous ses yeux.

    Alors qu’elle mit fin au combat du jeune blond, la princesse remarqua qu’une personne particulière les observait. Il s’agissait de son fiancé, Syla. Ce dernier s’avança aussitôt vers elle d’un air décidé.

    - Vous êtes très pédagogue, remarqua-t-il simplement. Et vous êtes très douée !

    - Merci, se contenta de répondre humblement la princesse.

    - Pourrais-je également m’entraîner avec vous ?

    Miku l’observa d’un air perplexe. Elle ne voyait pas l’intérêt de ce combat. Il était évident que le jeune homme ne pourrait se donner à fond contre elle. Il était l’invité de Voline, elle en était la princesse. Sans oublier qu’elle était sa fiancée. Néanmoins, il serait sans doute impoli de refuser.

    - D’accord.

    Les deux adversaires se mirent en position, leur épée en main. Len avait rejoint sa sœur sur le côté, tous deux observant la scène d’un air curieux.

    - A vous l’honneur, l’encouragea galamment Syla d’un signe de tête.

    Miku ne se fit pas prier et passa à l’attaque, son épée fendant l’air avec précision. Son opposant para la lame, la contourna et tenta un coup puissant. Surprise, Miku dut faire appel à toute son agilité pour l’esquiver. Elle recula de quelques pas, surveillant son adversaire.

    - Vous semblez surprise, remarqua Syla avec un sourire mystérieux en tournant autour d’elle.

    - Je ne m’attendais pas à ce que vous y alliez si franchement, avoua-t-elle, restant sur ses gardes.

    - Ne pas y aller franchement contre la princesse de Voline, l’épéiste si renommée ? Je ne suis pas fou ! S’exclama le jeune homme sans perdre son sourire.

    C’est lui qui retourna le premier à l’attaque. Miku para son coup et tenta à son tour une riposte. Très vite, une foule s’était formée autour de ce combat si inattendu et dont l’issue semblait incertaine. Syla pourrait vouloir leur prouver qu’ils avaient raisons de placer leurs espoirs en lui, qu’il était un bon combattant et méritait de reprendre son trône. Miku quant à elle pourrait vouloir montrer à son peuple qu’elle était toujours la meneuse en laquelle ils croyaient. Mais en réalité, en ce moment-même, les deux adversaires se sentaient coupés du monde. Ils étaient seuls, l’un face à l’autre. Et ils se battaient pour eux-mêmes. Les lames s’entrechoquaient, les deux combattants semblaient danser l’un autour de l’autre, s’observant, se jugeant, se testant. Reconnaissant mutuellement leur valeur.

    Personne ne sut qui serait finalement sorti vainqueur de ce combat. Mikuo intervint sans ménagement, interpellant assez froidement Syla. Visiblement, il semblait désapprouver cet affrontement, mais il avait une raison plus importante qui l’avait conduit ici. Il ne fit donc aucune remarque. Pour l’instant.

    - J’ai besoin de toi pour écrire une lettre, expliqua-t-il.

    - Très bien.

    Syla rangea son épée. Miku hésitait à protester, voulant faire remarquer à son frère qu’ils les avaient interrompus en plein combat, mais à ce moment Syla se retourna vers elle, plongeant son regard dans le sien.

    - Je suis heureux que nous soyons dans le même camp.

    Il la salua d’un signe de tête, puis suivit le roi hors de la cour pendant que la foule autour d’eux se dissipait. Il se tourna une dernière fois vers la princesse, un sourire étirant à nouveau ses lèvres. Et, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi, Miku lui sourit en retour.

    Chapitre 11 >>


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  • Partie II

     

    Déjà à 8 ans, Meiko, fille de la chef cuisinière, travaillait dur au château de Miginnie. En cette sombre période, tout le monde au château, aussi bien les nobles que le personnel, était en émoi suite au décès récent de la reine Dalya. Tout le monde parlait à voix basse, les visages étaient tirés et tristes. L’inquiétude et l’incertitude planait. En effet, personne ne savait ce qu’il était advenu de l’enfant que portait la reine. Le roi ne faisait aucune annonce, ce qui aggravait les craintes, et la rumeur courrait que l’enfant était mourant, si il n’était pas déjà mort en même temps que sa mère.

    Meiko, attristée par le décès de sa reine sans en comprendre encore tout le sens, travaillait le plus calmement possible pour ne pas troubler le deuil des adultes qui l’entouraient. Plusieurs paires de drap dans les bras, elle prit un passage étroit réservé aux domestiques qu’elle savait rarement emprunté. Tandis qu’elle progressait, des sanglots attirèrent son attention. Elle s’arrêta pour tendre l’oreille. Les sanglots semblaient lointain, elle les percevait faiblement. Elle marcha en direction de ces pleurs, déjà curieuse à son âge. Elle prit un passage entre les murs complètement abandonné, ne menant à aucune porte à sa connaissance. Le sol était poussiéreux et des toiles d’araignées freinaient sa progression, de plus, l’obscurité régnait dans ce passage oublié. Elle bifurqua dans un autre passage étroit. Meiko adorait explorer ces couloirs anciens, qu’elle considérait comme des passages secrets. Elle colla son oreille contre le mur. Les sanglots étaient tout proches. De la lumière filtrait à ses pieds depuis l’autre côté du mur, et elle s’accroupit pour y jeter un coup d’oeil. Elle aperçut alors une forme rectangulaire qu’elle tâta de ses mains. Un déclic se produisit, et un minuscule passage pas plus haut qu’un demi-mètre se libéra. Meiko décala le pan de mur et s’y engouffra. Elle se trouvait à présent dans une chambre luxueuse. Il s’agissait probablement d’une ancienne sortie de secours pour une personne importante. Les domestiques connaissaient plusieurs de ces passages qui avaient été fort utiles lors d’une grande guerre il y a plus de cent ans, mais celui-ci avait dû être oublié et Meiko se sentait surexcitée de l’avoir découvert. Elle aperçut la femme qui pleurait bruyamment au fond de la pièce, assise sur une chaise près de la fenêtre. Elle serrait quelque chose dans ses bras. Une autre femme observait l’intérieur d’un berceau. Restant à quatre pattes pour ne pas se faire repérer, Meiko alla se cacher derrière un fauteuil tout proche. Elle observa la femme près du berceau, et elle se rendit compte qu’elle tenait un bébé dans ses bras. La femme s’éloigna du berceau, pour s’approcher de la femme qui pleurait.

    - Je sais qu’il est difficile de perdre un enfant, Mizki. Allons, lâche-le, tu dois l’accepter.

    Meiko écoutait attentivement. Mizki était la meilleure amie de la reine, il était connu qu’elle avait accouché quelques jours seulement avant la souveraine.

    - Tu ne comprends pas, Inda, sanglota Mizki. Il a été empoisonné. J’en suis sûre !

    Meiko ne pouvait observer le visage d’Inda qui lui tournait le dos, mais Mizki semblait presque folle.

    - Empoisonné, dis-tu ?

    - J’avais demandé… Je savais que je n’aurais pas assez de lait… J’ai demandé qu’on m’apporte de l’aide, mais personne d’autre dans le château n’a enfanté récemment… Alors, ils m’ont donné du lait de chèvre...

    Malgré qu’elle sanglotait encore, la jeune femme semblait résolue à tout raconter.

    - Je me suis dit que mon bébé… il n’est pas prématuré… Je me suis dit que c’était à lui que je devrais donner le lait de chèvre. Et ils m’ont dit… Ils m’ont dit… Que c’était idiot, que je devrais réserver mon lait à mon propre enfant… Je comprends maintenant, ils avaient empoisonné le lait ! Ils voulaient tuer la progéniture de Dalya… Je t’en prie, Inda, crois-moi, leur comportement était vraiment étrange !

    - Je te crois.

    Il y eu un petit silence pendant lequel Mizki, un peu calmée par la déclaration de sa sœur, sécha ses larmes.

    - J’avais déjà entendu des échos, continua Inda. Je sais qu’un groupe de rebelles souhaite faire monter sur le trône Amin, à la place d’Edwin. Mais je ne pensais pas qu’ils profiteraient du décès de Dalya pour passer à l’action.

    - C’est horrible… Comment peut-on comploter pour tuer des enfants…

    Inda commença à faire les cent pas, le bébé qu’elle tenait dormant paisiblement. Meiko n’osait plus bouger d’un pouce.

    - Pour l’instant, vu que le roi a demandé de garder le secret, très peu de personnes sont au courant, réfléchissait Inda à voix haute.

    Elle se posta à nouveau devant sa sœur.

    - Mizki. Ton bébé est mort, mais tu peux encore tenir la promesse que tu as faite à Dalya. Je sais qu’il te faudra du temps pour faire ton deuil. Mais nous devons agir au plus vite.

    - Je ferai tout pour Dalya, dit la jeune femme d’une voix plus assurée, les larmes ayant enfin cessé de couler.

    - Si ce que je pense est correct, quoiqu’on fasse, Edwin est condamné. Son meurtre n’est qu’une question de jours. Les coupables font partie du conseil royal.

    - Mais, si nous disons la vérité au peuple…

    - Ils donneront au peuple leur version de l’histoire. Nous n’avons aucune preuve. Mizki, tu as vu de quoi ils sont capables, nous ne sommes pas de taille face à eux pour l’instant. Ce qui est certain, c’est que l’héritier court un grave danger dans ce château. Il faut qu’il grandisse en sécurité. Nous allons faire croire qu’il n’a pas survécu. Prématuré, ses chances de survie sont faibles. Nous laisserons ton bébé dans le berceau. Tout le monde croira que tu t’es enfuie avec ton enfant, trop honteuse de n’avoir pu sauver celui de Dalya. C’est ce que je ferai croire.

    - Mais, Inda, tu oublies que…

    - Non, je n’oublie pas.

    Inda retourna près du berceau, observant à nouveau son contenu.

    - Ce n’est qu’une hypothèse, risquée. Mais je pense que les rebelles n’auront aucun intérêt à dévoiler le secret.

    - Mais ils ne sont pas les seuls à être au courant. La sage-femme…

    - Je trouverai les mots pour que tous gardent le silence.

    - … D’accord. Je te fais confiance.

    Mizki se leva. Elle marcha d’un pas décidé vers le berceau. Mais elle hésita encore avant d’y poser le corps de son bébé. Elle laissa échapper un dernier sanglot. Puis, elle prit le nouveau-né se trouvant dans le berceau. Meiko osa se pencher un peu plus pour observer l’héritier. Mais ce n’était qu’un nouveau-né semblable à ceux qu’elle avait déjà vus. Mizki resserra le tissu qui l’enveloppait et le plaça dans un drap qu’elle avait passé autour de son cou, veillant à ne pas le réveiller. Meiko avait déjà vu des jeunes mères porter leur progéniture ainsi pour avoir les mains libres.

    - Quand tu seras en sécurité, envoie-moi un message à notre ancien pensionnat au nom de Paula. La gouvernante saura qu’il s’agira d’un message secret. Je t’expliquerai alors comment nous communiquerons.

    - D’accord.

    De leur bras libre, les deux femmes se serrèrent brièvement.

    - Fais attention à toi, lui dit encore Inda.

    - Toi aussi.

    Mizki s’apprêta à partir et Meiko se serra contre le fauteuil pour ne pas se faire voir.

    - Attends.

    C’était Inda qui avait parlé. Elle tendait devant elle le bébé qu’elle tenait dans ses bras.

    - Que fais-tu ? Il faut que tu l’emmènes aussi !

    - Quoi ? Mais, Inda, pourquoi ? Il est bien mieux avec toi qu’avec moi…

    - Non. C’est faux. Les rebelles risquent de s’intéresser à moi également à présent. Je ne peux le mettre en danger uniquement pour assouvir une envie égoïste, cela n’aurait pas de sens. C’est mieux ainsi, et tu le sais très bien.

    - Je suis désolée…

    Inda aida sa sœur à passer un deuxième drap autour de son cou pour y placer le deuxième nouveau-né. Meiko se pencha pour jeter un coup d’oeil. Mais cette fois, Mizki la vit.

    - Qui es-tu ?!

    Meiko s’était réfugiée derrière le fauteuil, son coeur battant la chamade dans sa poitrine. Elle savait qu’elle n’aurait pas du entendre cette conversation. Inda contourna le fauteuil et l’observa.

    - N’aie pas peur. Tu es la fille de la chef cuisinière, n’est-ce pas ? Depuis quand es-tu là ?

    - Je… J’ai entendu des pleurs et… Je suis désolée…

    - Est-ce que tu comprends ce qu’il se passe ?

    Meiko haussa les épaules.

    - J’ai compris… que des gens voulaient du mal à l’héritier… Mais je ne dirai rien pour qu’il soit en sécurité, je le jure !

    Inda sourit gentiment.

    - Calme-toi, je sais que tu n’as aucune mauvaise intention. Je connais bien ta mère, aussi. Nous allons avoir besoin d’alliés, Meiko. Pouvons-nous compter sur toi ?

    Se sentant importante, Meiko gonfla la poitrine.

    - Oui !

    Et Meiko tint sa promesse. Même lorsque les rebelles réussirent à couronner Armin. Même lorsque les années passèrent. Même lorsque sa mère mourut de maladie. Même lorsque Luka convainquit les rebelles de l’aider à prendre la place de son époux sur le trône. Même lorsque Yukari lui fut enlevée. Elle continua de rester fidèle à la véritable famille royale de Miginnie.

     

    ***

     

    La princesse de Voline, Miku, accompagnée par sa servante et meilleure amie, Rin, observait l’entraînement du frère de cette dernière. Len se battait à l’épée contre le chevalier qui l’entraînait. Rin encourageait avec entrain son jumeau, qui avait nettement progressé ces derniers temps. Il s’entraînait toujours avec application et sérieux. Bien que la paix régnait à présent à nouveau sur les royaumes, il avait hâte d’être prêt à protéger personnellement sa princesse, et sa sœur.

    - Miku.

    Mikuo, le grand frère de Miku qui, suite au décès de leur père, était récemment devenu roi de Voline, se dirigeait vers eux, l’air grave.

    - Que se passe-t-il, grand frère ?

    - Nous avons un invité que j’aimerais te présenter.

    Il regarda brièvement Rin, puis Len qui s’était également approché, curieux.

    - Oui, vous pouvez venir, répondit-il dans un soupir, comme si il connaissait déjà leur question avant même qu’elle n’ait franchi leurs lèvres.

    Miku lui adressa un sourire. Mikuo semblait avoir accepté que les jumeaux la suivaient partout comme son ombre. Le trio suivit donc le roi à travers la cour.

    - Te souviens-tu de Syla d’Edior ? Commença par demander le jeune homme.

    - Oui, bien sûr, s’étonna la princesse aux deux longues couettes.

    Elle avait été fiancée temporairement à Syla, le prince héritier d’Edior. Cependant, Edior avait été renversé par le royaume de Miginnie, et la famille royale avait été condamnée à la pendaison pour trahison par la reine Luka. Seul Syla avait réussi à échapper à ce sort funeste, fuyant le château pour disparaître dans la nature. Cela faisait maintenant plus de quatre mois qu’il n’avait plus donné signe de vie.

    - Apparemment, la route a été difficile pour lui. Il n’a pris aucun risque et a caché son identité jusqu’à ce qu’il me parle personnellement.

    - Mikuo… Tu veux dire que, cet invité…

    - Oui. Syla nous a rejoint.

    Sur ces paroles, il ouvrit la porte qui menait à la salle du trône. Un jeune garçon aux cheveux bleus patientait et s’inclina lorsqu’ils entrèrent dans la salle. La princesse remarqua qu’une tresse avait été réalisée à l’arrière de son oreille droite.

    - Votre Altesse Miku, c’est un honneur de vous rencontrer.

    La princesse s’approcha pour qu’il puisse lui faire un baise-main.

    - Moi de même.

    Elle ignorait comment s’adresser à lui. Edior tombé, il n’était plus officiellement prince, cependant il restait une personne importante.

    - Miku, Syla nous a fait le récit de ses mésaventures. La reine a tendu un piège à sa famille pour les faire pendre, ils n’ont jamais tenté de la tuer.

    - Je suis navrée de l’apprendre.

    Cependant, elle avait du mal à croire qu’ils n’auraient pas réellement tenté de tuer Luka afin de reprendre leur royaume, si ils en avaient eu l’occasion.

    - C’est un coup fourbe et honteux, reprit Syla. Cette personne ne mérite pas de se trouver sur mon trône. Elle a déjà tué tant de personnes innocentes.

    Miku observa son frère. Il ne comptait tout de même pas la fiancer à nouveau à cet homme ? La paix était enfin revenue. Elle ne désirait pas aider cet inconnu à reprendre son royaume. Elle n’avait jamais réellement désiré devenir reine, même si cela serait profitable pour son pays.

    - Même si son royaume est tombé, il reste un homme de sang royal, expliqua Mikuo à sa soeur. Il est plus que probable que, les tensions calmées, il pourra reprendre et gouverner un petit territoire.

    - Avec tout mon respect, Votre Majesté, je compte bien récupérer Edior. C’est mon royaume !

    - Malheureusement, notre armée n’est pas assez puissante pour lutter contre Miginnie. Il nous faudrait plus de forces.

    - Il y a énormément d’opposants au pouvoir de Luka dans mon royaume, reprit Syla, enflammé. L’ancienne armée d’Edior se retournera contre elle à la moindre occasion ! De plus, ma sœur est toujours à Katenze. Si Katenze voit que la situation peut tourner à notre avantage, ils n’hésiteront pas à nous aider à renverser Miginnie afin que le prince Kyo puisse l’épouser ! Et même si Katenze ne prend pas parti, j’ai déjà réuni d’autres alliés, et j’ai un plan pour en rallier encore plus !

    - Grand frère, nous avons tant souhaité cette paix, tenta Miku.

    - Cette paix ne peut durer, affirma Syla. D’après mes espions, la situation à Edior se dégrade de jours en jours. La guerre ne peut que revenir. Et vous devrez choisir votre camp.

    - Notre père n’approuvait pas les décisions de Miginnie, reprit Mikuo. Nous avons déjà choisi notre camp.

    Miku échangea un regard avec Rin. Elle semblait tout aussi inquiète. Len, lui, avait les yeux qui brillaient. Comme tous les jeunes écuyers de son âge, il rêvait de batailles où il pourrait montrer de quoi il était capable. Il était encore inconscient des horreurs de la guerre. Syla s’avança et reprit la main de Miku dans la sienne.

    - Votre Altesse. Je vous demande juste de me laisser une chance de vous convaincre de m’aider. Je vous prouverai que vous avez tout à gagner à monter sur le trône avec moi à Edior.

    Miku se tourna vers son frère qui l’encouragea d’un signe de tête.

    - J’en serais honorée, mentit-elle, toujours anxieuse. Mais lorsque la reine Luka apprendra votre présence ici, ne risque-t-elle pas de nous demander de vous livrer ? Nous avons un accord de paix entre nos royaumes.

    - Notre famille avait avant tout un accord avec Edior, expliqua Mikuo, ravi de la tournure de la situation. Il est normal que nous le protégions de Miginnie. De plus, Katenze possède la princesse Alys. Luka comprendra que nous désirions également garder un otage précieux dans cette situation.

    Mikuo s’approcha de Syla pour poser la main sur son épaule.

    - Parle-nous de ton plan pour récupérer Edior. Parle-nous de tes alliés. Si tu arrives à me convaincre que tu peux reprendre ta place sur le trône, alors je t’accorderai la main de ma sœur, et mon armée sera à toi.

    Chapitre 10 >>


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  • La séparation

     

    Comme souvent ces derniers temps, c’est un cauchemar qui réveilla Roku ce matin-là. Un cauchemar terrifiant et insupportable. Le genre de cauchemar qui, même éveillé, continuait de nous hanter tant il avait été effrayant et réaliste. Lorsque Roku, couvert de sueur, osa à nouveau bouger, il se leva et rejoignit en hâte le lit de son frère jumeau de l’autre côté de la pièce. Il se glissa sous la couverture, recherchant la présence réconfortante qui lui ferait bien vite oublier cet affreux cauchemar. Mais le lit était vide.

    La déception du plus jeune en ce moment fut immense. Kyuu s’était à nouveau levé sans l’attendre, alors qu’il aurait particulièrement besoin de lui en ce moment-même. Résigné, Roku se leva. Il tira les rideaux, éclairant la chambre d’une lueur matinale. Puis, il ouvrit la fenêtre, respirant l’air frais et légèrement humide. Il se força à oublier le cauchemar et, petit à petit, il se calma. Laissant la fenêtre ouverte pour aérer la chambre, il traversa la pièce pour en sortir. Il s’attendait à retrouver son jumeau dans la cuisine, mangeant son petit-déjeuner. Mais il n’était pas là non plus.

    - Kyuu ? Tu es là ?

    Seul le silence lui répondit. Leur appartement, pourtant petit, faisait étrangement vide sans son frère. Le cadet tremblait légèrement lorsqu’il ouvrit la porte du frigo. La nouvelle bouteille de lait n’était pas entamée, or Kyuu buvait toujours du lait le matin. Il n’avait donc pas pris son petit-déjeuner ici. Le plus jeune des jumeaux essaya de rassembler ses souvenirs embrumés. Kyuu était-il même rentré hier soir ? N’avait-il pas passé la nuit seul ? En refermant la porte du frigo, il remarqua qu’un message y était accroché.

    « Je suis sorti. Attends-moi s’il te plaît, je reviens vite. »

    Déçu, Roku mangea donc son petit-déjeuner seul. Certains éléments qu’il avait tenté d’oublier lui revenaient à présent douloureusement en mémoire. Cela faisait quelques temps maintenant, que Kyuu l’évitait. Ils ne s’étaient même plus vus depuis plusieurs jours. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Eux qui, avant, étaient inséparables. On dit toujours que le lien qui unit des jumeaux est spécial. Mais Roku le savait : le lien qui l’unissait à son frère l’était encore plus. Alors, il ne comprenait pas pourquoi son frère partait en le laissant seul ainsi. Ils s’étaient pourtant fait la promesse silencieuse de toujours rester à deux. Ils devaient être là l’un pour l’autre et ne jamais s’abandonner. Le cadet prit d’un geste automatique les médicaments qu’il devait prendre chaque matin, puis il débarrassa la table dans un silence de plus en plus pesant.

    Il espérait que Kyuu l’appelle dans la matinée. Mais ne recevant toujours aucun signe de vie, Roku craqua en premier. C’était toujours lui qui craquait le premier. Il prit son téléphone portable, vérifiant qu’il n’avait pas de message ou d’appel manqué. Il n’en avait jamais, n’ayant pas d’amis proches. Pourtant, même si il y était habitué, il se sentit incroyablement seul en observant son historique vide. Il rechercha le numéro de son frère dans son répertoire et l’appela. Aussitôt, une sonnerie retentit depuis leur divan. Roku s’en approcha, constatant que le téléphone de son frère s’y trouvait là, abandonné.

    - Kyuu, idiot ! Ne pars pas sans ton téléphone…

    Il prit le petit appareil dans sa main et entreprit de le mettre à charger, comme tous les jours. Il vérifia l’historique du téléphone mais, tout comme pour lui, personne ne prenait jamais de nouvelles de son frère. Les derniers messages venaient tous de lui.

    « Tu me manques. »

    « Donne-moi de tes nouvelles dès que tu peux s’il te plaît. »

    « A quelle heure rentre-tu ? »

    « J’ai mis ton repas au chaud. »

    « Est-ce que tu manges avec moi ce soir ? »

    « Où es-tu ? »

    Le plus jeune arrêta de lire, les larmes commençant à lui brouiller la vue. Il les sécha rapidement du revers de la main, refoulant sa tristesse au fond de lui pour essayer de se reprendre. Depuis combien de temps Kyuu jouait-il à ce jeu ? Avait-il fait quelque chose de mal pour qu’il le délaisse ainsi ? Ou son frère avait-il trouvé quelque chose de bien plus intéressant que lui ?

    La peine laissa place à la colère. Il en voulait terriblement à son jumeau. Il n’attendait qu’une chose, c’était qu’il vienne s’excuser du mal qu’il lui faisait en ce moment. Qu’est-ce qu’il avait hâte d’avoir une bonne discussion avec lui !

    Décidant qu’il était temps de s’habiller, Roku retourna dans la chambre. Il y régnait à présent un froid glacial. Frissonnant, le plus jeune se dépêcha de fermer la fenêtre. Le temps était étrangement mauvais pour la saison. Cela correspondait bien à son humeur.

    En entrant dans la salle de bain, un excitation soudaine le parcourut. Kyuu était rentré ! Cependant, cela ne dura qu’un court instant. Le temps qu’il se rende compte que ce n’était que son propre reflet dans le miroir. Encore plus déçu que ce matin si possible, le cadet observa son visage. Il n’avait vraiment pas bonne mine. Ses yeux étaient cerclés de cernes dû à ses nombreux cauchemars. Il mangeait moins aussi, et son visage était creusé, pâle.

    - C’est à cause de toi, Kyuu, maugréât-il. Tu vois le soucis que tu me fais en ce moment ?

    Il se demanda si son frère se faisait du soucis aussi malgré tout. Peut-être avait-il le visage aussi creusé que lui en ce moment ? Mais alors qu’il imaginait le visage de son frère, le cadet fut pris d’une violente nausée et dût se pencher pour vomir dans l’évier. Ses jambes tremblotaient alors qu’il rinça les restes de son petit-déjeuner.

    - Oh non, si en plus je suis malade, je vais devoir aller chez le médecin…

    Il parlait souvent à voix haute ces derniers temps. Cela brisait un peu le silence permanent de l’appartement.

    Se sentant faible, il alla s’asseoir dans le divan. Que devait-il faire ? Il n’avait aucune envie d’appeler le médecin. D’habitude, quand il était malade, Kyuu était là pour veiller sur lui. Si seulement il pouvait le contacter, il était sûr et certain que son frère accourrait pour venir auprès de lui en apprenant qu’il était malade.

    Roku hésitait. En réalité, il connaissait l’adresse où se trouvait son frère. Devait-il aller le voir de lui-même ? Il avait tellement espéré que ce soit lui qui vienne le voir en premier cette fois. Il se tordit les mains, anxieux. Il avait envie d’aller le voir. Même si cela signifiait encore perdre le premier. Il se leva, hésita, tourna en rond. Et si Kyuu rentrait pendant qu’il allait le voir ? Ils risqueraient de se manquer. Inquiet à cette pensée, il colla un message sur la porte du frigo, remplaçant l’ancien. Il regarda ensuite autour de lui. Il ne faisait plus beaucoup d’effort pour s’occuper de l’appartement ces derniers temps. Le désordre régnait partout, et maintenant qu’il y faisait attention, il se rendit compte que la poussière s’était accumulée.

    - Je devrais nettoyer au lieu de passer mes journées à m’ennuyer, remarqua Roku.

    Mais il aurait bien le temps une autre fois. Maintenant, tout ce qu’il voulait, c’était de voir Kyuu. Il attrapa donc un gilet et sortit. Il fit à peine quelques pas dehors que le froid le surprit. Il accéléra alors le pas, courant presque jusqu’à la station de métro. Evitant le regard des autres, il se rendit au bout du quai pour attendre le métro, là où il y avait le moins de monde. Le métro arriva bien vite et alors qu’il en franchit les portes, son regard tomba automatiquement sur une jeune femme qu’il connaissait. Cette dernière aussi le vit, mais elle détourna aussitôt le regard, se concentrant sur son téléphone.

    - Hannah, ne put-il s’empêcher de s’étonner.

    Il regretta immédiatement de lui avoir adressé la parole. Il était évident qu’elle ne souhaitait pas lui parler. Pratiquement toutes les personnes qu’il connaissait préféraient faire comme si ils ne le voyaient pas quand ils le croisaient par hasard. Mais il pensait que la jeune femme qui se prénommait Hannah n’agirait pas ainsi. Ils n’étaient pas vraiment très proches. Mais elle était l’une des seules personnes qui se montraient amicales avec eux.

    - Roku ! S’exclama-t-elle avec un sourire forcé, comme si elle venait seulement de le remarquer. Ca fait longtemps !

    C’était vrai, que cela faisait longtemps. La jeune femme travaillait loin d’ici. Même si ils se voyaient assez souvent avant, depuis quelques temps, ils avaient fini par se perdre de vue. En tout cas, il fut un peu étonné qu’elle le reconnaisse du premier coup d’oeil. Après tout, il avait mis le gilet de Kyuu. Ils se ressemblaient très fort, même pour des jumeaux, alors d’habitude les gens se trompaient tout le temps.

    - Tu… tu n’as pas froid habillé comme ça ? Demanda maladroitement la jeune femme pour faire la conversation.

    - Un peu. Il fait étonnamment froid pour la saison, non ?

    - Qu’est-ce que tu racontes ? On est en hiver !

    Roku ouvra la bouche, puis la referma. Le métro venait de s’arrêter à une station et plusieurs personnes en descendirent. Il n’avait pas remarqué que tout le monde portait des vêtements d’hiver.

    - Est-ce que tu prends bien tes médicaments ? S’inquiétait Hannah.

    - Oui, répondit le cadet, agacé qu’elle ait remarqué qu’il était malade.

    Le silence retomba entre eux alors que le métro démarrait à nouveau. Cette conversation n’était pas agréable pour Roku. Et il voyait bien que la jeune femme avait hâte d’arriver à son arrêt. Il l’aimait bien pourtant, avant. Mais comme tous les autres, elle finissait par s’éloigner de son frère et lui. Elle avait des amis bien plus intéressants qu’eux, maintenant. Il essaya de chercher un sujet de conversation dans l’espoir qu’elle retrouve une meilleure image de lui.

    - Je vais voir Kyuu, annonça-t-il.

    - Oh… Fit simplement la jeune femme, cherchant ses mots.

    - Est-ce que tu vas le voir parfois ?

    Il était curieux de savoir si leur ancienne amie commune préférait voir Kyuu que lui. Mais elle secoua tristement la tête.

    - Je suis désolée. Je n’ai pas vraiment le temps, tu sais. Je n’ai pas beaucoup l’occasion de venir par ici.

    Roku hocha la tête d’un air compréhensif. Mais en vérité, il lui en voulait de ne plus venir les voir. Il en voulait à tout le monde.

    - Ca m’embête un peu, mais ça fait quelques jours qu’il m’évite, reprit-il. Je vais lui dire deux mots à ce propos.

    Le métro ralentissait, ils arrivaient à l’arrêt auquel devait descendre Roku. Hannah l’observait, bouche bée.

    - C’est ici que je descends.

    - Attends, Roku, arriva-t-elle à balbutier. Qu’est-ce que tu racontes ?

    La porte venait de s’ouvrir. Si il ne descendait pas, il risquait de rater son arrêt.

    - Je dois y aller, Hannah. J’espère qu’on se reverra, Kyuu et moi on aimait bien passer du temps avec toi.

    - Attends, Roku ! Répéta-t-elle avec plus d’insistance. Est-ce que tu vois encore un médecin ?

    Roku était sorti de la rame. Il regardait Hannah qui restait à l’intérieur, perplexe.

    - Non. Pourquoi devrais-je voir un médecin ?

    Il eut le temps de voir l’hésitation dans son regard. Elle aurait pu descendre avec lui et lui parler. Mais elle resta à l’intérieur. Parce qu’elle avait d’autres choses à faire et qu’elle était pressée. Parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle pouvait faire pour lui. Parce qu’elle n’en avait ni le courage, ni l'envie. Parce qu’elle n’était pas si proche que ça d’eux. Pour tout un tas de raisons, elle resta dans la rame alors que les portes se refermaient.

    - Roku, ça fait des semaines que Kyuu est parti !

    Les portes s’étaient refermées. Quelques secondes de plus et le métro repartit. Peut-être que Hannah regrettera de ne pas être descendue. Ou peut-être se forcera-t-elle d’oublier cette rencontre. Le plus jeune ne le saura jamais. Tremblant à nouveau à cause du froid, ou peut-être pas à cause du froid, il sortit de la station de métro. Kyuu ne pouvait pas être parti depuis si longtemps. Ce n’était pas possible. Il serait devenu fou. Ses pas le guidèrent instinctivement, il connaissait le chemin. Il avait hâte de revoir son jumeau. Il devait absolument lui parler. Il voulait tellement le revoir, lui parler, le toucher. Et que son frère le voie, lui parle et le touche en retour. Qu’il lui sourie, qu’il rie,qu’il lui ébouriffe les cheveux, qu’il le prenne dans ses bras. Qu’il...

    Mais arrivé à destination, il paniqua brusquement. Une panique qui le glaça bien plus que le froid environnant. Il ne savait plus où était Kyuu. Il se mit à courir, perdu.

    - Kyuu, Kyuu, Kyuu… Où es-tu ?!

    Sa respiration était saccadée. Il regardait partout, recherchant désespérément son frère. Il continuait de l’appeler, mais il ne comprenait pas pourquoi ses pas l’avaient conduit en ce lieu. Kyuu était-il vraiment ici ? Il commença à s’arracher les cheveux. Si il continuait, il savait qu’il risquait encore d’être envoyé à l’hôpital. Peut-être que cette fois, ils ne le laisseront plus sortir, comme ils le menaçaient souvent. Mais personne ne savait vraiment que faire de lui. Aucun médicament ne pouvait suffire. Aucun médecin ne pouvait l’aider.

    Enfin, il s’arrêta devant la tombe de son jumeau. Ses lèvres tremblaient alors que la réalité le frappait à nouveau de plein fouet. Ce n’était pas un cauchemar qu’il tentait de fuir. C’était la réalité qui était devenue un cauchemar. Une réalité qu’il ne pourrait jamais accepter et qu’il rejetait de tout son être. Roku tomba à genoux devant la tombe, commençant à sangloter. Il ne reverrait pas Kyuu aujourd’hui non plus.

    Kyuu était parti.

    Il avait beau pleurer, crier, se griffer le visage, Kyuu ne reviendrait plus. Le cadet se recroquevilla sur la tombe, espérant que cette fois, personne ne le retirerait de force pour le droguer de médicaments. Que cette fois, on le laisserait rester auprès de son jumeau pour toujours.

    Jusqu’à ce qu’il puisse le rejoindre, où qu’il soit parti, et lui dire de ne plus jamais l’abandonner.

     

    Note de l'auteur (à lire après la lecture du chapitre) :

    Cette histoire n’a bien sûr pas réellement eu lieue. Ce n’est pas une histoire officielle. Mais qui ne s’était jamais demandé comment réagirait Kyuu ou Roku si leur frère venait à mourir ? Kyuu et Roku sont spéciaux, ils ont été créés pour être inséparables. Il est donc difficile d’imaginer l’un vivre sans l’autre. Sans doute que si l’un venait à mourir, l’autre se suiciderait. Ou, comme je l’ai imaginé ici, il deviendrait tout simplement fou, ne pouvant accepter cette réalité.
    Si vous êtes tristes suite à cette histoire, rassurez-vous : peu importe ce qu'il leur arrive dans les histoires, chansons et autres, les "vrais" Kyuu et Roku ne seront jamais séparés ;)

     


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