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  • Surinz était une ville très pauvre, et mal fréquentée. Bien que le Royaume de Miginnie continuait de fleurir grâce à la gouvernance de la Reine Luka, certaines régions éloignées des activités commerciales se relevaient difficilement de la période la plus sombre du pays. Avec la guerre menée contre Edior, peu d’effectifs étaient présents pour surveiller ces villes qui étaient laissées à l’abandon et où tous les reclus de la société pouvaient y trouver refuge. Il n’était pas rare de s’y faire piller par des enfants miséreux, à chaque coin de rue on pouvait croiser des sans-abris, des femmes de plaisir ou des hommes ivres, et chaque jour on y retrouvait de nouveaux corps, certains morts naturellement de faim ou de froid, d’autres suite à des agressions. De plus, Surinz était située près de la forêt du Nord, si bien que de nombreux groupes de brigands passaient par ici pour échanger leurs butins ou profiter des plaisirs de la ville avant de reprendre leur chemin. Bref, Yukari n’était pas très à l’aise tandis qu’elle se promenait dans la ville à la recherche de l’orphelinat désigné par Inda. Avec ses vêtements venant du château, il n’était pas difficile de la repérer. Bien qu’elle évitait le contact visuel, plusieurs hommes l’avaient déjà interpelée, lui faisant quelques propositions obscènes.

    Est-ce vraiment ici qu’a vécu l’héritier ? S’interrogea-t-elle.

    C’était loin d’être un endroit convenable pour un prince. Mais lorsqu’elle vit tous ces enfants trainer dans les rues, tous si semblables avec leurs vêtements miteux et sans doute recensés nulle part, elle comprit qu’il serait difficile de retrouver la trace de l’héritier. C’était sans doute un des meilleurs endroits pour le cacher.

    Elle croisa plusieurs orphelinats avant de trouver le bon. L’endroit était aussi misérable que le reste de la ville, et elle se demanda comment le ou les propriétaires pouvaient se débrouiller pour s’occuper de tant de bouches à nourrir.

    Lorsqu’elle se présenta à l’entrée, une femme âgée et rondelette vint lui ouvrir, qui se révéla être la directrice de l’établissement. L’endroit était empli de bruits d’enfants qui jouaient, qui criaient, qui pleuraient. Malgré l’état des lieux assez sale et désordonné, c’était un sort plus enviable que de vivre à la rue, et la directrice semblait très gentille. Yukari n’était pas sûre de la manière dont elle devait s’y prendre pour demander à voir l’enfant de Mizki. Alors, elle annonça simplement qu’elle recherchait un enfant dont elle ne connaissait qu’une date approximative d’arrivée.

    - Cette femme portait deux nouveau-nés, mais l’un des deux a déjà dû partir. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?
    - Des femmes qui nous laissent des gosses, ce n’est pas ce qui manque ici, remarqua la directrice. Vous pouvez consulter le registre, vous y trouverez peut-être l’enfant que vous cherchez.

    Yukari accepta, et la directrice l’amena à l’étage, dans une petite pièce qui semblait être un bureau. Cette dernière la laissa alors seule avec les registres des arrivées des enfants. Toutes les arrivées étaient datées, mais retrouver un enfant n’était pas aisé. La plupart d’entre eux étaient déposés de manière anonyme, d’autres étaient d’un âge incertain, d’autres n’avaient même pas de noms ou semblaient venir de nulle part. Yukari commença à feuilleter la période qui l’intéressait. Ses indices étaient maigres, et à plusieurs reprises elle se demanda si elle n’irait pas plus vite en interrogeant les enfants un à un. Elle trouva bien une femme qui avait déposé deux nouveau-nés à une date vraisemblable, mais les enfants ne correspondaient pas à ce qu’elle recherchait. En avançant chronologiquement, elle en trouva d’autres arrivés par deux et apportés par une femme, mais ils avaient parfois un écart d’âge trop important, ou certains n’étaient pas du bon sexe. Elle continuait de tourner les pages, mais elle avait l’impression de trop s’éloigner. Mizki était en fuite, recherchée par des gardes, avec des nouveau-nés fragiles et encombrants sous les bras, elle avait dû cacher les enfants au plus vite. Mais aucun de ces enfants ne semblaient correspondre... A moins qu’une de ses certitudes ne soit fausse. Yukari posa ses tempes dans ses mains, réfléchissant aux faits dont elle était sûre.

    - La Reine Luka recherche Mizki et deux enfants, chuchota-t-elle. La Reine Dalya et Mizki ont enfanté à la même période. Mais l’héritier est mort, on a retrouvé le corps d’un enfant mâle dans le berceau.

    Et alors, elle comprit. L’héritier, trop faible, n’avait pas été présenté au peuple à sa naissance. Et Mizki s’était ensuite immédiatement isolée avec lui. Seuls ceux présents à l’accouchement avaient vu l’héritier vivant, et il aurait été facile de leur faire garder le silence. Mais pour quelle raison ?

    Il y avait tellement de bruits dans l’orphelinat qu’elle ne se rendit pas compte tout de suite que quelque chose clochait. La directrice avait élevé la voix.

    - Rangez cette épée ! Vous faites peur aux enfants ! Qu-que faites-vous ? NOOOOON !

    Le cri déchirant paralysa Yukari sur place. Des enfants pleuraient, bien plus qu’il y avait quelques minutes. Des pas lourds montaient dans les escaliers. Instinctivement, elle referma le registre. Puis, elle se tourna vers la porte qui s’ouvrit en même temps. Un chevalier inconnu lui faisait maintenant face. Il retira son casque, dévoilant ses cheveux courts roses. Il portait une armure de la chevalerie de Miginnie et alors qu’il s’avançait, il rangea son épée dans son fourreau. Yukari ne l’avait jamais vu, pourtant, son identité lui parut évidente.

    - Vous êtes… Le chevalier Yuuma, n’est-ce pas ?
    - Exactement. Je dois te remercier, Yukari. Tu nous as grandement aidés à avancer dans nos recherches.

    Il l’avait suivie. Depuis son arrivée à Surinz. Ou peut-être même bien avant. Elle avait conduit le chevalier qui recherchait l’héritier droit à l’orphelinat dans lequel il avait vécu et d’où on pouvait retrouver sa trace.

    - De… Depuis quand ? Interrogea Yukari, essayant de garder son calme.
    - Depuis quand ? Mais, depuis que la Reine a laissé la lettre à ton intention.

    Les yeux de Yukari s’écarquillèrent. La lettre qu’elle avait découvert en recousant la robe de la reine avait-elle était laissée intentionnellement pour elle ? Est-ce que ça voulait dire… Que depuis le début…

    - Tu comprends, les enfants étaient trop bien cachés pour les rechercher au hasard, il fallait que nous fassions parler le camp adverse. C’est la Reine qui a eu l’idée de t’utiliser. Elle savait que ta curiosité pourrait nous être utile. Nous soupçonnions bien sûr Inda et Meiko, mais nous ne pouvions les torturer pour obtenir des informations sans éveiller les soupçons de nos ennemis, au risque qu’ils déplacent encore l’héritier. Nos deux camps avaient intérêt à rester le plus discret possible après tout. Non, il fallait trouver une méthode douce, trouver quelqu’un qui pourrait faire parler des complices encore au château ou obtenir des informations directement de la seule famille restante de Mizki. Nous ignorons encore si Meiko en sait plus qu’elle ne le prétend, mais l’information que tu as obtenue d’Inda sur cet orphelinat nous est très précieuse. La Reine savait que tu lirais son courrier, que tu voudrais retrouver l’héritier, que tu pourrais soutirer des informations à Meiko, mais nous n’aurions jamais pensé que tu aurais une piste aussi vite.

    Yukari n’arrivait plus à parler. Elle ne pouvait croire que la Reine Luka s’était servie d’elle. Yuuma la contourna et posa sa main sur le registre.

    - Pourquoi la Reine recherche-t-elle l’héritier ? Réussit-elle à articuler. Ce n’est qu’un enfant.
    - Tu me déçois, tu m’avais pourtant semblé perspicace. Tant que l’héritier vit, la place de la Reine sur le trône n’est pas garantie. Si un jour l’héritier se montre et réclame son trône, malgré tout ce que la Reine a fait pour notre peuple, une partie de celui-ci serait capable de se relever contre elle. N’est-ce pas injuste ?
    - Ce…
    - C’est la vérité. La Reine a fait un travail remarquable. Alors que cet héritier, qui est-il ? Un inconnu. Regarde où il a vécu. Il ne sait sans doute ni lire, ni combattre, ni diriger. Voudrais-tu mettre quelqu’un comme lui sur le trône ?

    Yukari serra les poings. Si cet homme lui révélait autant, c’est qu’il comptait se débarrasser d’elle. Maintenant qu’il avait une piste pour trouver les enfants, il n’avait plus besoin d’elle. Alors, quitte à mourir, elle refusait de mourir en tenant sa langue.

    - Je suis très reconnaissante de ce qu’a fait la Reine Luka pour notre Royaume, répondit-elle. Cependant… Le sang du Roi et de la Reine est sacré. Je ne peux accepter que la descendance de la famille Royale se fasse assassiner. Si pour garantir sa place sur le trône, la Reine est prête à sacrifier des enfants, alors peut-être ne mérite-t-elle pas de s’y tenir.

    Yuuma sortit l’épée de son fourreau.

    - Et bien, pour quelqu’un sur le point de mourir, tu ne manques pas d’un certain courage. Tu es perspicace, persévérante et plutôt mignonne. Quel gâchis.

    Yukari tremblait comme une feuille. Non, elle ne voulait pas mourir. Elle pensait à la Reine qu’elle servait avec tant d’affection, qui s’était pourtant servie d’elle et était maintenant prête à se débarrasser d’elle comme d’un linge sale. Elle pensait à sa mère, qui lui avait dit un jour que sa curiosité la perdrait. Elle pensait à Meiko, qui serait mêlée à cette histoire à cause d’elle, à Inda, à l’héritier… Quand Yuuma s’approcha d’elle, elle tomba à genoux, les larmes coulant sur ses joues.

    - A-attendez ! Pitié !
    - Je n’ai pas le temps. Tu dois mourir, maintenant. Disparaître avec les connaissances que tu détiens.

    La lame se leva, impressionnante, et Yukari cria si fort que les pleurs des enfants dans l’orphelinat se multiplièrent.

    ***

    Kaito et son compagnon blond descendirent de leur monture pour rejoindre le trio. Ils n’étaient pas seuls, deux autres hommes qui n’avaient pas participé à la bataille les accompagnaient.

    - Vous n’êtes pas blessée, Votre Altesse ? Demanda le chef du groupe du nom de Kaito. Je suis désolé d’arriver si tard, vous avez dû avoir peur.
    - Non, je… Je vais bien, répondit Alys, bien qu’elle était loin de se sentir bien.

    L’homme aux cheveux bleus la lâcha enfin des yeux pour se tourner vers les jumeaux. Roku tenait son bras blessé, et tous deux avaient un air penaud.

    - Je n’ai pas vu grand-chose de la bataille, avoua Kaito. Mais j’en devine assez pour savoir que vous ferez des exercices supplémentaires tous les jours. Compris ?
    - Oui, répondirent les jumeaux d’une voix.
    - J’ai déjà puni ceux qui vous ont laissés en arrière malgré mes ordres. Vous avez autre chose à signaler ?

    Cette fois, les deux frères se contentèrent de secouer leur tête. Vu la façon dont Roku semblait être attaché à Kaito, Alys avait imaginé leurs retrouvailles plus chaleureuses.

    - Vu que vous avez commencé à préparer le repas, on s’arrête ici. Roku, profite-en pour soigner ton bras. Yohio, vérifie ce qui peut être récupéré sur les corps et les autres, éloignez-les, je ne veux pas que leur vue coupe l’appétit de notre charmante compagnie.

    Il invita la princesse à s’assoir, ce qu’elle fit, et il s’installa près d’elle. Il sortit d’un de ses sacs des provisions, et le faucon poussa un petit cri pour obtenir un morceau de viande.

    - Je suis navré que vous ayez dû voyager seule avec les jumeaux. Vous êtes en sécurité maintenant. Ils ne se sont pas mal conduits avec vous j’espère ?
    - Non ! Ils ont été très bien.

    Elle avait pris leur défense instinctivement, même si en réalité, il n’y avait que Roku qui avait été agréable. Kaito continuait de préparer le plat, mais il passait plus de temps à scruter la princesse, et elle se sentait horriblement gênée par la profondeur de son regard.

    On dirait une gamine. Oui, c’est assurément le plus bel homme que tu aies vu, et après ? Ne le laisse pas t’intimider. Tu es une Princesse ! Promise à un Prince qui plus est !

    Les autres brigands s’installèrent autour du feu, le bras de Roku maintenant bandé. Apparemment, la blessure était légère, ce qui rassura Alys. Les jumeaux n’en restèrent pas moins penauds, Kyuu lançant quelques regards furtifs à la princesse. Elle comprit qu’il devait être inquiet qu’elle n’ait parlé à leur chef de sa façon de se comporter avec elle, ou encore de sa faute lors du tour de garde. Elle n’en fit rien.

    - Nous partons directement après le repas, annonça Kaito. Nous éviterons de passer en plein territoire des Sans-Cœur en contournant la rivière, et nous voyagerons seuls pour être plus discrets et rapides. Gakupo, retourne au campement et rejoins-nous à l’orée de la forêt avec une demi-douzaine d’hommes supplémentaires. Nous continuerons ensemble jusqu’à Katenze pour les négociations.

    - Pourquoi ne pas se rendre à Edior ? Proposa Alys avec espoir.

    Après tous ces évènements, son mariage arrangé l’attirait encore moins, et tout ce qu’elle désirait, c’était de rentrer chez elle. Mais Kaito secoua la tête.

    - Je suis navré de vous l’apprendre, mais la forteresse de Faël est tombée. L’armée de Miginnie sera aux portes du château d’Edior dans une poignée de jours.
    - Non !

    Alys ne pouvait le croire. La forteresse de Faël était la plus résistante du Royaume. Elle ne pouvait pas être tombée aux mains de l’ennemi. Si cela était vrai, alors plus rien ne pourrait empêcher l’avancée de l’armée de Miginnie jusqu’au château. Même si elle n’était pas présente lors des réunions de guerre, contrairement à Syla, elle savait que la situation était critique, assez pour que son père organise un mariage arrangé précipité avec le pays voisin, mais elle ignorait les détails, et savoir que Miginnie était sur le point d’emporter cette guerre la bouleversa. Son château allait être assailli, sa famille serait capturée, certains des habitants qu’elle côtoyait mourraient dans la bataille. Et ensuite, la Reine Luka prendrait la tête du Royaume. Comment un peuple sans roi pouvait-il réussir un tel exploit ? De colère, de tristesse, Alys repoussa son plat. Elle ne pouvait plus rien avaler.

    - Tout n’est pas perdu, remarqua Kaito. La grande bataille décisive se déroulera au pied du château. Sans oublier qu’avec votre mariage, des renforts viendront de Katenze.

    Alys hocha la tête, s’accrochant à cet espoir.

    - Dans ce cas, dépêchons-nous. Montrons à Katenze que je suis toujours là, qu’ils tiennent leur part du contrat.

    Par la suite, le voyage se déroula rapidement et sans encombre. L’homme nommé Gakupo, qui possédait des longs cheveux mauves qu’il attachait, les avait quittés le jour-même sous l’ordre de Kaito. Ils étaient donc encore six. Elle partageait le cheval de Kaito, et ce dernier ne la laissait jamais s’éloigner bien loin de lui. Cette proximité avait sa dose de moments gênants, mais en même temps, cela faisait longtemps qu’elle ne s’était plus sentie autant en sécurité. Kaito était fort, musclé, habile et avait de l’expérience en combat. Il ne pouvait pas en être autrement venant d’un chef de clan. Sur certains points, il lui rappelait Takahashi. Il était aussi poli et doux avec elle, la traitant comme il se devait. Yohio, son second qui possédait l’arc, avait des manières plus rudes, plus semblables à ce qu’on pourrait imaginer d’un bandit. Il était plus grossier et brusque, était vaniteux et aimait rabaisser les jumeaux à la moindre occasion. Il aimait rire et boire, mais lorsque Alys avait sous-entendu ne pas l’apprécier, Kaito lui avait avoué n’avoir jamais eu de meilleur second. Sous ses attitudes peu agréables, il était un excellent combattant, loyal et prêt à risquer sa vie pour le bien du clan. Le dernier homme se nommait Shirosaki. Il était calme et obéissant, mais ne disait pas un mot de plus que nécessaire. Souvent, Alys oubliait sa présence. Il avait des cheveux courts noirs, et portait une tenue principalement blanche, bien qu’elle était constamment tâchée de boue et de sang.

    Les journées se suivaient et se ressemblaient. Ils parcouraient de longues distances en journée, ne s’arrêtant que pour manger et de courtes pauses pour soulager les chevaux. Chaque soir, alors que Shirosaki était de corvée de préparer le repas, Kaito entrainait Kyuu et Roku à l’épée. Si le cadet avait pu en être dispensé les premiers soirs pour éviter que sa blessure ne se rouvre et ne s’infecte, son répit fut de courte durée. Kaito était dur avec eux et n’hésitait pas à leur laisser quelques bleus, mais Alys avait fini par comprendre l’attachement des jumeaux à son égard. Contrairement à Yohio qui se plaisait à s’en prendre à eux ou Shirosaki qui les niait complètement, les intentions de Kaito étaient bonnes, et si il y allait peut-être un peu fort avec eux, le temps qu’il leur consacrait prouvait qu’il tenait à eux. Alors qu’elle les observait s’entrainer, assise sur un rocher, Yohio vint s’assoir à même le sol à ses côtés.

    - Il vous plait n’est-ce pas ? Remarqua-t-il avec un sourire insistant. Je ne doute pas qu’une jeune fille sage comme vous doit aimer un rebelle comme Kaito.
    - Ce… Ce sont des sottises, répliqua Alys, non sans rougir légèrement. J’apprécie juste le fait qu’il se conduise comme il se doit avec moi. Contrairement à vous.

    Yohio éclata de rire, comme il le faisait si souvent.

    - C’est vrai qu’il peut avoir des attitudes de noble, Kaito. Vous saviez qu’il est de haute naissance ? Il aurait pu devenir chevalier pour le royaume de Miginnie, mais le voilà à la tête d’une bande de brigands.

    Alys l’ignorait. Elle ignorait tout de Kaito, de ses origines, de sa vie de brigand, de ce qu’il a pu commettre. Pourtant, elle continuait de ressentir de la sympathie envers lui. Elle le regarda arrêter l’entrainement pour faire quelques remarques aux jumeaux, et elle ne put s’empêcher de sourire. Non, ça ne pouvait pas être quelqu’un de mauvais. Yohio aussi les regardait, mais toute trace d’humour avait disparu de son visage.

    - C’est depuis que les jumeaux sont là, qu’il récupère de mauvaises manies de noble, remarqua Yohio non sans cacher son amertume.
    - Tu n’as pas l’air de les porter dans ton cœur, remarqua Alys, curieuse d’en connaitre la raison.

    Yohio haussa les épaules avant de répondre.

    - Kyuu est marrant, il est facile à énerver. Il persévère et ne s’en sortira pas trop mal en tant que brigand. Roku… Qu’est-ce qu’il fait ici ?

    Il secoua la tête, et Alys se mordit la lèvre, ne pouvant le contredire.

    - Mais ce n’est pas ce qui ne me plait pas avec eux. C’est leur attitude avec Kaito, ou plutôt la mauvaise influence qu’ils ont sur lui. Tout était parfait avant qu’ils n’arrivent. Vous n’auriez sans doute pas aimé le Kaito d’avant, le vrai, le jeune brigand prodige qui a pris la tête du clan. Et puis un jour, on s’est arrêté dans une taverne d’une ville et on l’a perdu de vue. Il est revenu avec deux gosses gringalets, nous annonçant qu’on avait deux membres de plus. Une promesse à une amante d’un soir… Rien de bien inhabituel, on aurait pu leur faire faire les corvées et autre. Mais Kaito a tenu à s’en occuper personnellement. Il leur apprend à se battre, mais il leur a aussi appris à lire et écrire, il leur parlait de ses stratégies, il les protégeait face aux autres…

    - Est-ce une mauvaise chose ? S’étonna Alys.
    - Oui. Kaito est le chef du clan. Une telle préférence injustifiée ne pouvait que créer des jalousies et incompréhensions. Ils sont loin d’être appréciés par tout le monde.

    Ils avaient été laissés en retrait, se rappela Alys. C’est ainsi qu’ils m’avaient trouvée, ils étaient seuls, les autres les avaient abandonnés.

    Cela expliquait encore plus leur attachement pour leur chef. Parmi toutes ces personnes qui ne les appréciaient pas, ils s’accrochaient au seul qui semblait tenir à eux.

    - En plus, ils aiment les hommes, ajouta Yohio. Rien que pour ça, Kaito devrait prendre plus de distances avec eux. Je n’ai rien contre quelques femmes de plaisir, mais des hommes… Non, c’est contre-nature.

    Alys fut choquée. Il était effectivement contre-nature pour un homme d’aimer un autre homme. Les humains étaient faits pour procréer, elle était bien placée pour le savoir. Mais rien ne pouvait naître d’une telle relation. Cependant, Kyuu sembla avoir entendu la fin de la discussion, car il quitta son entrainement pour venir crier sur Yohio.

    - Arrête de raconter des trucs bizarres à la Princesse ! Le croyez pas hein, ce n’est pas vrai !

    Kaito soupira et fit signe à Roku qu’il pouvait partir également. Yohio, semblant satisfait d’avoir énervé l’ainé des jumeaux, continua à le provoquer, lui reprochant de « n’avoir rien tenté avec la Princesse alors qu’ils étaient seuls ». Le chef donna un coup sur la tête de Kyuu en passant, le réprimandant d’être parti sans son accord, et l’envoya faire une série de pompes supplémentaires. Puis il proposa son bras à Alys, qui accepta l’invitation et partit faire quelques pas avec lui.

    - Ne croyez pas tout ce que dit Yohio, la prévint Kaito. Il prend beaucoup de ses suppositions comme des réalités absolues.

    Alys repensa à ce que lui avait raconté le jeune brigand. Que pouvait-elle croire dans ce qu’il avait dit ?

    - Il m’a dit que vous auriez pu devenir chevalier de Miginnie. Est-ce vrai ?
    - Je suis le fils d’un chevalier, oui. Mon destin était déjà tout tracé. Mais je détestais cette vie, et mes parents. J’ai fugué à la première occasion, et lorsque je suis devenu brigand, j’ai tout de suite su que c’était ma voie.

    Quel gâchis, pensa Alys.

    - Vous… avez fait des choses horribles en tant que brigand, n’est-ce pas ?

    Kaito hocha la tête.

    - J’ai tué, et j’aime tuer. J’avais l’impression de revivre, en décevant mon père. J’aime piller et boire. Ne vous y trompez pas, Votre Altesse. Je ferai en sorte que vous passiez un bon voyage, mais je reste un brigand.

    Alys grimaça. Elle avait espéré voir du remord dans ses yeux, qu’il lui avoue qu’il regrettait et qu’il souhaitait partir avec elle et… Elle secoua la tête. C’était idiot.

    - Yohio dit que vous aviez changé après avoir accueilli les jumeaux. Une promesse à une amante ?

    Cette fois, Kaito se contenta d’hausser les épaules.

    - Ce n’était pas la première fois que je choisissais une amante d’un soir, ni la dernière, raconta-t-il. Elle était belle, mais assez ordinaire. Elle n’avait pas assez d’argent pour élever ses gosses, et elle m’a fait promettre de les emmener avec moi. Je m’en foutais, j’avais envie d’elle, j’avais bu et deux nouvelles recrues ne pouvaient pas faire de mal.

    Alys n’aimait pas sa façon de parler. Elle n’aimait pas de savoir qu’il avait connu plusieurs femmes. Mais elle se tut, le laissant continuer.

    - J’ai appris qu’elle est morte, quelques semaines après. Les jumeaux ont hérité de ses cheveux verts et de quelques traits, je repense parfois à elle en les regardant. C’est sans doute un peu par compassion que j’ai pris ses enfants sous mon aile. Ils n’avaient pas de bonnes prédispositions pour devenir brigands, mais je suis sûr que dans quelques années, ils me seront utiles.

    Ils étaient près du campement, mais ils marchaient lentement, profitant d’une brise nocturne assez fraiche.

    - Mis à part que je forme Kyuu et Roku, contrairement à ce que pense Yohio, je ne considère pas avoir changé, continua Kaito. Yohio est plus que mon second, c’est mon meilleur ami. Il est devenu brigand à la même période que moi, et pour des raisons similaires aux miennes car il détestait également sa famille, nous avons grandi comme des frères. Il préfère me voir flâner avec lui que d’apprendre à un enfant à tenir une épée. Peut-être même a-t-il craint que je ne m’éloigne de lui à cause d’eux, d’où le fait qu’il n’ait jamais pu les accepter.

    - Et Shirosaki ? Demanda Alys, curieuse d’entendre encore des histoires du clan.
    - C’est une nouvelle recrue. Il vient de Katenze où il était écuyer. Il a tué sa femme après une histoire de tromperie, et il nous a rejoints peu après cet incident. Je ne connais pas les détails, il est très difficile de le faire parler de sa femme. Il peut paraitre assez faible physiquement, mais il est très stratège et participe à la plupart des élaborations de nos plans, le sous-estimer peut être une erreur fatale.

    Ils avaient rejoint le campement, où Shirosaki finissait de préparer le repas. Ils s’assirent l’un à côté de l’autre, près du feu.

    - Et vous, Votre Altesse, n’avez-vous jamais souhaité quitter votre famille, partir à l’aventure dans la nature ?

    Alys secoua automatiquement la tête.

    - Imaginez-vous une Princesse devenir brigand ?
    - Pourquoi pas ? Selon la légende, notre clan aurait été fondé par une femme au sang noble maniant une épée de glace. Plusieurs femmes ont d'ailleurs rejoint nos rangs.

    Kaito prit sa main dans la sienne, et la caressa lentement, remarquant sa douceur. A ce contact, Alys se sentit rougir. Pendant un instant, elle imagina à ce que ressemblerait sa vie si elle quittait sa famille, son mariage arrangé, et restait aux côtés de Kaito pour toujours. Non, c’était inconcevable. Sa famille, son pays avait besoin d’elle, elle ne pouvait fuir. Elle ne pourrait de toute façon pas supporter une vie si difficile, et voir des gens honnêtes mourir et se faire piller…

    - Je plaisantais, Votre Altesse, remarqua Kaito. Tenez bon, nous ne sommes plus qu’à deux jours de Katenze, où vous pourrez retrouver tout le confort de votre rang.

    Chapitre 6 >>


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  • Un marché se tenait sur la place du centre d’un petit village semblable à tant d’autres. Parmi les acheteurs et les promeneurs, Yukari passait pour une jeune fille tout à fait ordinaire. Mais au fond d’elle, elle se sentait telle une espionne en mission spéciale, vérifiant à plusieurs reprises qu’elle n’était pas suivie. Mais qui suivrait une servante qui avait simplement demandé une autorisation de quitter le château pour rendre visite à une vieille tante malade ? Il n’y avait là rien de bien inhabituel. Cependant, en réalité, le but de la jeune fille était tout autre. Si ses recherches d’un troisième enfant né dans la même période que l’héritier légitime du royaume s'étaient pour l’instant révélées infructueuses, Meiko lui avait donné par inadvertance une piste qui pourrait l’aider à obtenir plus d’informations. Elle lui avait en effet appris l’existence de la sœur de Mizki, Inda. Depuis, Yukari n’avait cessé de l’implorer de lui donner son adresse, ce qu’elle avait fini par accepter, non sans lui faire remarquer qu’elle perdrait probablement son temps. Mais Yukari était têtue, et même si rien ne lui garantissait que la sœur de Mizki l’aiderait, elle était persuadée qu’elle devait savoir où se trouvait sa frangine, et les enfants qu’elle avait emmenés il y a de cela des années.

    Elle empruntait à présent une ruelle peu fréquentée, mais agréable. Les fenêtres étaient fleuries et il y régnait un calme apaisant, même si l’on entendait encore au loin les bruits du marché. Une vieille femme au dos courbé la salua d’un signe de tête lorsqu’elle passa près d’elle, puis elle ne croisa plus personne. Malgré les indications de Meiko, elle prit du temps à repérer la maison d’Inda. Elle était semblable aux autres, petite, étroite et modeste, mais elle était bien entretenue. Yukari respira profondément et toqua à la porte. Après quelques secondes de silence complet, celle-ci s’entrouvrit légèrement.

    - Qui êtes-vous ? Demanda une voix féminine.

    - Je m’appelle Yukari, et je suis servante au service de la reine Luka. Je…

    - Fichez-le camp ! Ordonna la voix, et la porte se referma aussitôt.

    Yukari regretta d’avoir évoqué son appartenance au château, et elle tenta tant bien que mal de rattraper cette maladresse.

    - Je suis une amie de Meiko ! C’est elle qui m’a envoyée ici.

    La porte se rouvrit doucement, juste assez pour laisser la jeune servante rentrer. Celle-ci ne se fit pas prier et entra dans la maison. La femme qui l’avait laissée entrer était grande, d’un âge incertain, ses cheveux noirs tirant vers le gris, et elle scrutait la jeune fille d’un regard soupçonneux.

    - Pourquoi Meiko m’envoie une servante de la reine ?

    - Je viens au sujet… de votre sœur, et des enfants.

    Yukari espéra naïvement qu’Inda lui révèle tout en apprenant qu’elle connaissait l’existence des enfants au pluriel, mais la femme fronça les sourcils.

    - Comme je l’ai répété à tous les gardes envoyés par le château, j’ignore où ma sœur s’est enfuie. Si tu es venue uniquement pour ça, tu peux repartir.

    Elle boitait lorsqu’elle se mit à marcher, et elle s’assit à table en poussant un soupir de soulagement, comme si rester debout lui était douloureux. Yukari lui fit face. C’était le moment. Elle s’était interrogée durant tout le trajet sur la manière d’aborder le sujet, car elle se doutait qu’Inda ne révèlerait rien si facilement, et elle pensait avoir trouvé les mots justes. Elle prit son air le plus sérieux, essayant d’avoir l’air d’en savoir plus qu’elle ne savait réellement.

    - Je suis au courant de tout. Si je suis ici aujourd’hui, c’est parce qu’un danger plane sur l’héritier. La reine Luka est sur le point de le trouver, c’est Yuuma qui l’a repéré.

    Inda soutenait son regard. Elle semblait hésiter, et Yukari croisait les doigts. Peu de personnes devaient être au courant qu’un certain Yuuma recherchait secrètement l’héritier sur ordre de la reine, elle avait donc pris le risque de dévoiler une partie de la lettre pour prouver sa soi-disant implication dans l’affaire.

    - J’ignore de quoi vous parlez, répondit finalement la sœur. On m’avait dit que Mizki s’était enfuie avec son fils, et c’est tout ce que je sais.

    Cependant, pendant qu’elle parlait, Yukari la vit prendre une feuille vierge et une plume, et elle commença à écrire rapidement.

    « J’ignore qui tu es pour être dans la confidence. Mais si tu es une amie de Meiko, je prends le risque de te demander de l’aide. Si tu nous trahis, tu mourras. »

    - Pourquoi parles-tu d’un héritier ? L’héritier est mort, tout le monde le sait.

    « Mizki ne donne plus aucun signe de vie. Dans mon état, je suis incapable de rejoindre l’héritier pour la suite du plan.  »

    - Des gardes sont déjà venus chez moi après la fuite de Mizki, et j’ai prouvé mon innocence à chaque fois. Quand pourrais-je profiter pleinement de la vie sans payer le prix des erreurs de ma sœur ?

    « Mizki a déposé les enfants à l’orphelinat des Iris, à Surinz. Il a déjà dû récupérer l’héritier, mais l’autre enfant doit encore s’y trouver. Interroge-le, retrouve l’héritier et préviens-le avant que la reine ne le trouve, dis-lui qu’il doit agir vite. »

    -  Si tu n’as rien de mieux à faire, je te demanderai de quitter les lieux.

    Elle se leva et boitilla jusqu’à la cheminée. Bien vite, le morceau de papier fut réduit en cendre.

    - Je suis désolée de vous avoir importunée, dit simplement Yukari. Je ne m’attarderai pas d’avantage. Au revoir.

    Inda ne lui répondit pas. Yukari sortit de la maison en silence et referma la porte derrière elle. Elle reprit aussitôt son chemin, gravant dans sa mémoire ce qu’elle venait de lire. Elle avait raison, l’héritier était vivant. Malgré ses recherches intensives pour le prouver, la vérité la bouleversa. Ce n’était plus un jeu à présent. Elle était affublée d’une réelle mission. Elle devait prévenir l’héritier que… Que quoi ? Qu’il devait agir vite, mais pour quoi faire ? Quelle était la suite du plan ? Qui était ce « il » qui avait récupéré l’héritier ? Et aider l’hériter, n’était-ce pas trahir la reine qu’elle aimait tant ?

    Rentre au château, dit une voix au fond d’elle.

    Mais c’est l’héritier légitime, dit une autre, plus têtue. C’est ton devoir de le servir.

    Elle voulait continuer, mais n'allait-elle pas trop loin ? Inda l'avait menacée de mort si elle les trahissait... Yukari se retrouva à nouveau sur la place du marché. Elle pouvait traverser la place et prendre la direction du château, oublier cette histoire et reprendre le cours normal de sa vie. Ou elle pouvait tourner à droite et chercher un véhicule pour Surinz pour continuer de chercher la vérité. Après tout ce qu’elle avait fait pour trouver l’héritier, que lui coûterait un voyage en plus jusqu’à un orphelinat ? Elle pouvait au pire simplement prévenir l’autre enfant à l’orphelinat qu’Inda ne pouvait plus se déplacer, pour n’avoir aucun remord, puis elle improviserait sur place. Cette dernière pensée l’encouragea, et elle emprunta la rue à sa droite, scellant sans le savoir son destin.

    ***

    Alys dormit très mal. Malgré la fatigue, il lui suffisait de laisser le sommeil l’envahir pour que d’horribles cauchemars l’assaillissent. Parfois, elle rêvait de Satou, ou de ses servantes, qu’elle ne pouvait sauver. Mais parfois, c’était elle qui devait échapper à la mort alors qu’elle se trouvait en plein champ de bataille. Elle voyait du sang, des morts, aussi bien ennemis qu’alliés. A plusieurs reprises, elle se réveilla en sursaut, en larmes, et il lui fallait plusieurs minutes pour se calmer. Kyuu, l’ainé des jumeaux qui l’avaient capturée, ne semblait guère s’en soucier et dormait à poings fermés, pendant que Roku veillait. Ce dernier détournait toujours le regard lorsqu’Alys croisait le sien quand elle se réveillait. Elle aurait préféré que personne ne la voie dans cet état. Elle cherchait encore à se rendormir lorsque Roku réveilla son frère pour qu’il prenne son tour de garde. Kyuu grommela mais finit par se redresser, encore dans les vapes. Le plus jeune se dirigea alors vers Alys, qui se crispa. Il n’allait quand même pas dormir avec elle ? Elle le repousserait sans hésitation, il était hors de question qu’elle partage ses couvertures avec un de ses ravisseurs. Mais il se coucha à une distance raisonnable d’elle, et alors qu’elle se détendait, elle se rendit compte qu’elle était déçue. Au château, lorsqu’elle faisait des cauchemars, elle pouvait toujours appeler une servante, souvent Satou, qui partageait alors son lit avec elle pour la calmer. En ce moment plus que jamais, elle avait besoin de réconfort. Si elle se méfait de Kyuu, elle ne doutait pas de la nature pacifique du cadet. Elle s’approcha elle-même encore un peu de Roku, malgré le regard désapprobateur de son frère. Sentir une présence auprès d’elle la rassura, et cette fois, elle s’endormit pour du bon.

    Lorsque Alys se réveilla, il faisait déjà jour depuis un moment. Roku dormait toujours paisiblement à ses côtés, et un peu plus loin, Kyuu dormait adossé contre un arbre. Il s’était endormi pendant son tour de garde. Ce qui voulait dire que personne ne les aurait prévenus en cas d’approche d’un ennemi, ils auraient pu tous se faire tuer dans leur sommeil. Elle-même, leur prisonnière, pouvait s’enfuir sans qu’ils ne puissent faire quoique ce soit.

    Des gosses, vraiment.

    Peut-être parce qu’il faisait jour, elle se sentait plus courageuse que la veille. Elle se leva en silence et rejoignit l’un des chevaux attachés, lui caressant doucement le flanc pour ne pas l’effrayer. Oui, elle pouvait partir. Le ciel était dégagé, elle pourrait se servir de la position du soleil pour se guider. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de se diriger vers le nord-est, elle finirait forcément par tomber sur un village en se rapprochant du centre du royaume. Il y avait toujours un risque qu’elle croise des ennemis, mais ce risque était le même en restant avec les deux frères. L’idée de prendre une des armes des jumeaux pour se défendre lui vint alors à l’esprit. Elle retourna sur ses pas et s’approcha de Roku, qui dormait toujours. Elle saisit la poignée de la dague qu’il portait à la ceinture et tira doucement, doucement. Elle guettait tellement qu’il ne se réveille pas qu’elle ne remarqua pas le danger arriver par derrière. Elle fut plaquée si violement au sol qu’elle en eut le souffle coupé.

    - Qu’est-ce que tu comptais faire à mon frère ?!

    Kyuu l’écrasait, menaçant la gorge de la princesse avec sa propre dague.

    - Kyuu ! Intervint le cadet, à présent éveillé aussi, en se levant et en attrapant son frère par le bras. Ne lui fais pas mal ! C’est la princesse !

    - Elle allait te tuer ! Remarqua l’ainé.

    - N-non ! Se défendit Alys, un peu effrayée par la lame trop près d’elle. Je voulais juste prendre son arme !

    Après quelques secondes pendant lesquelles Roku continuait d’essayer de le retenir, Kyuu se retira de lui-même, et lança un regard désapprobateur à son frère.

    - Pourquoi tu t’es couché près d’elle ? Tu vois, elle est dangereuse !

    Face à l’air déconfit du cadet, la princesse ne put s’empêcher d’intervenir.

    - Ne rejette pas la faute sur lui ! Ca ne serait pas arrivé si tu ne t’étais pas endormi pendant ton tour de garde !

    Un silence suivit son intervention, pendant lequel les jumeaux la regardaient, surpris. Kyuu n'aurait pas fait une tête différente si elle l'avait giflé. Visiblement, il n'appréciait pas de se faire réprimander par elle.

    Maintenant, c’est sûr, il me déteste.

    Kyuu lui lança des regards noirs tout le reste de la matinée. Roku semblait l’avoir crue lorsqu’elle avait expliqué avoir voulu prendre l’arme uniquement pour s’enfuir, qu’elle ne leur aurait fait aucun mal, mais Kyuu restait persuadé qu’elle avait tenté de les tuer dans leur sommeil. Mais il ne pouvait insister sans ressasser sa propre faute lors de son tour du garde, du coup, il maugréait intérieurement. Ils déjeunèrent dans une ambiance morose, et reprirent la route dans un silence glacial. Alys aurait souhaité partager le cheval du cadet, mais la méfiance de l’ainé l’avait forcé à la tenir près de lui malgré sa mauvaise humeur. Au moins, il ne l’avait pas attachée comme il avait menacé de le faire. Ils avancèrent d’un bon rythme, les jumeaux changeant parfois brusquement de trajectoire pour échapper à d’éventuels poursuivants. Les survivants de sa garde devaient être à sa recherche, tout comme d’autres brigands. Tout ce qu’elle espérait à présent, était que Takahashi la retrouve au plus vite. Le soleil était haut dans le ciel lorsqu’une ombre attira l’attention de la Princesse. Elle leva les yeux et vit un faucon faire de larges tours au-dessus d’eux. Elle observa un instant la majestueuse créature lorsque tout à coup, celle-ci fendit en piquée sur eux. Alys laissa échapper un petit cri et se protégea le visage avec ses bras. Elle sentit les ailes la frôler, mais l’oiseau semblait s’intéresser à autre chose.

    - Attends ! Râlait Kyuu, comme à son habitude. Eloigne-toi !

    Le faucon essayait de se poser sur le sac qui pendait à sa monture. Kyuu plongea sa main dedans, en retira un morceau de viande, et le lança en hauteur. Le faucon l’attrapa en plein vol et se posa sur une branche pour l’avaler tranquillement.

    - Sale bête, maugréait Kyuu tandis qu’il attachait une lanière de cuir à son bras. Maintenant, tu peux venir. Allez, viens !

    Cette fois, le faucon se posa en douceur sur son bras, non sans pousser un cri perçant dans ses oreilles.

    - Il est à vous ? Demanda Alys, impressionnée par la grâce de l’oiseau.

    C’était la première fois qu’elle voyait un rapace de si près.

    - Non, c’est celui de Kaito, répondit Roku. Il l’a très bien dressé, vous verrez. C’est un oiseau très intelligent.

    - Il a une cervelle de moineau tu veux dire, répliqua Kyuu. En plus, il est aussi têtu qu’une mule.

    A ces mots, Le faucon lui pinça violemment le doigt, lui arrachant un cri. Alys se surprit à sourire. Depuis combien de temps n’avait-elle plus souri ? Cela semblait une éternité, et pourtant…

    -  Il a un message, remarqua Roku.

    Kyuu détacha le rouleau qui était attaché à la patte de l’oiseau. Il le déplia et commença à lire, fronçant les sourcils. Mais rapidement, il tendit le message à son frère.

    - Qu’est-ce qu’il dit ? Demanda-t-il sur le ton de la conversation.

    - Tu ne sais pas lire ? S’étonna aussitôt Alys.

    - Bien sûr que si. C’est juste que, Roku lit plus rapidement.

    Elle ne savait si elle devait le croire ou non, mais de toute façon, elle ne comptait pas insister. Le cadet lit le message, puis les informa de son contenu.

    - Kaito vient à notre rencontre. Il est au courant qu’on est seul, et il nous demande d’être prudents le temps qu’il arrive.

    - Il pense encore qu’on est incapable de se débrouiller seuls ? Répliqua Kyuu, et Alys préféra ne pas faire de remarque. Il va en faire une de ces têtes quand il verra qu’on a capturé la Princesse.

    Tu as assommé une fille en pleurs qui avait le dos tourné, alors qu’il n’y avait personne aux alentours, aurait pu dire Alys. Qu’y a-t-il de glorieux à ça ?

    -  Amène Kaito jusqu’à nous dans ce cas, demanda Roku au faucon.

    Ce dernier cria encore sur Kyuu pour qu’il lui donne un nouveau morceau de viande, puis il reprit son envol.

    -  J’ai faim aussi, arrêtons-nous, proposa Kyuu.

    Pour le plus grand bonheur de la princesse, il osa la laisser seule avec Roku. Pendant que le plus jeune devait réchauffer des restes, il voulait se dégourdir les jambes à la recherche de nouvelles provisions.

    - Je ne sais pas comment tu fais pour le supporter, avoua Alys en aidant le cadet à préparer le feu. Est-il toujours de mauvaise humeur ?

    - N-non, bafouilla Roku en déposant le bois.

    -  C’est parce que je suis là ? Il a l’air de me détester.

    - Il ne vous déteste pas…

    Alys lui jeta un regard incrédule, et il se reprit.

    -  Il est comme ça avec tous les étrangers au début. Ce n’est pas contre vous… Il n’aime pas vraiment les gens de haute naissance, qui ont la vie facile.

    Avait-elle la vie facile ? Elle n’avait sans doute pas de raison de se plaindre. Mis à part qu’elle se devait d’être toujours parfaite, et qu’elle avait dû quitter sa famille pour partir épouser un parfait inconnu. Mais de simples brigands ne pouvaient sans doute pas comprendre ses préoccupations de « fille de haute naissance ».

    - Et toi ? Demanda alors la jeune fille.

    - Moi ? Je n’ai pas de raison de vous détester. Vous semblez très gentille, Kaito a déjà eu des otages moins précieux qui se sont montrés bien plus insupportables.

    - Tu as l’air l’opposé de Kyuu, remarqua-t-elle. Tu as l’air tellement gentil que je ne t’imagine pas du tout en brigand.

    Le feu prenait doucement. Roku prit du temps pour rajouter quelques branches avant de répondre, et Alys se rendit compte qu’elle avait sans doute sans faire exprès touché un point sensible. Elle ne devait pas être la première à lui faire comprendre qu’il n’avait rien d’un brigand. Elle ne connaissait pas son histoire, mais peut-être avait-il rejoint les Epées Glacées à contre-cœur. A cette constatation, une idée folle lui vint à l’esprit.

    - Ramenez-moi au château, proposa-t-elle. Vous ne serez pas mes ravisseurs, mais mes sauveurs. Vous recevrez des récompenses, et vous pourrez trouver du travail à la cour.

    Pendant un infime moment, elle crut voir de l’intérêt au fond de ses yeux. Mais il secoua rapidement la tête.

    - Non. Je veux rester auprès de Kaito.

    - Pourquoi ?

    Le cadet n’eut pas le loisir de répondre. Des bruits de sabots leur firent lever la tête en même temps. Trois cavaliers s’approchaient, et Roku tira la princesse par le bras pour la tenir derrière lui.

    - Ce sont des Sans-Cœurs, murmura-t-il, et Alys retint son souffle.

    - Tiens tiens, on dirait qu’on arrive au moment du repas, remarqua le cavalier à la tête du groupe.

    Ils étaient tous les trois grands et de chevelure foncée. Ils étaient bien équipés, de longues épées pendant à leur ceinture. Leur sourire avait quelque chose de si malsain qu’Alys sentit son cœur s’affoler. Ils faisaient partie du groupe qui les avait attaqués. Peut-être était-ce l’un d’eux qui avait tué Satou.

    - Oubliez le repas, il y a un plus beau morceau derrière, remarqua un des cavaliers dont une cicatrice fendait l’œil droit.

    Alys n’avait aucun doute sur leurs intentions. Et Roku ne pourrait rien faire contre eux trois. Les hommes descendirent de leurs montures, et alors qu’ils s’approchaient, elle s’accrocha au bras du cadet, espérant un miracle.

    - Ne lui faites pas de mal ! S’interposa Roku. Elle est de haute naissance, vous en tireriez plus en la rendant intacte !

    - On pourra toujours en obtenir un petit quelque chose même si on s’amuse avec, remarqua le troisième homme. On ne va quand même pas laisser échapper une telle occasion !

    Vu qu’ils continuaient d’approcher, Roku tira son épée, ce qui ne provoqua que des rires.

    - Tu veux te battre ? Lança l’homme à la cicatrice en tirant sa propre épée. D’accord, ça fera un amuse-bouche.

    Roku repoussa Alys en arrière, puis il se tint prêt. Mais la jeune fille voyait la peur briller dans son regard, et elle ne se faisait aucun espoir sur l’issue de ce duel. Vu que le cadet restait sur la défensive, c’est l’homme à la cicatrice qui donna le premier coup. Puis le deuxième, et le troisième. Roku parait les attaques, et Alys devait avouer qu’il se débrouillait mieux qu’elle ne l’avait craint. Jusqu’à ce que les rires des deux autres ennemis lui firent comprendre qu’elle se trompait.

    Il joue avec lui.

    Roku profita d’une ouverture pour tenter un coup. Son adversaire para l’épée facilement, la contourna, puis riposta. Sa lame érafla alors le bras gauche du cadet dont le gémissement de douleur doubla les rires des spectateurs. Du sang avait éclaboussé l’herbe, et Alys vit bien que le plus jeune n’avait aucune envie de recevoir un autre coup. Il recula lorsque l’homme s’approcha, apeuré. C’est alors que Kyuu réapparut, sorti de nulle part de derrière Alys, sa propre épée à la main. Il se jeta sur l’homme à la cicatrice, donnant de violents coups d’épée, le faisant même reculer. Cependant, il perdit vite l’avantage de l’effet de surprise, et son adversaire reprit doucement le dessus. Les deux autres ennemis avaient cessé de rire et regardaient le combat d’un œil curieux. Kyuu criait à chaque coup qu’il donnait, et Alys grimaçait en voyant les ouvertures monstrueuses qu’il laissait. Visiblement lassé, l’homme à la cicatrice sembla vouloir mettre fin au combat. Il leva son arme, prêt à frapper un bout coup, alors que Kyuu laissait une énième ouverture. Il n’avait aucune chance de redresser son épée à temps pour se défendre. Cependant, avant que l’épée du brigand ne s’abaisse, une flèche lui transperça la poitrine. L’homme tituba encore un moment, surpris, puis il s’écroula, mort. Deux chevaux arrivèrent au galop sur les lieux de la bataille. L’un des cavaliers, blond, tenait encore l’arc qui lui avait permis de sauver Kyuu. L’autre, une épée à la main, avait engagé le combat avec les deux autres hommes en même temps. Désavantagés d’être sans monture, ils ne firent pas le poids et très vite, l’un d’eux succomba d’un coup d’épée. Le dernier, comprenant qu’il n’avait aucune chance, tenta alors de s’enfuir. Le fuyard n’eut pas le temps de rejoindre son cheval que le nouvel arrivant le trancha également d’un coup d’épée. Il revint ensuite au petit trot, et Alys ne put s’empêcher de le trouver incroyablement beau. Il avait des cheveux bleus un rien plus clairs que les siens, un regard confiant et envoutant, et une allure charismatique. Le faucon qui leur avait apporté un message un peu plus tôt se posa sur son épaule, presque affectueusement. L’homme arrêta son cheval devant Kyuu, mais c’était Alys qu’il scrutait avec un regard si pénétrant que la jeune fille se sentit rougir.

    - Je ne m’attendais pas à retrouver les jumeaux en si charmante compagnie, déclara-t-il en rangeant son épée tâchée de sang. Vous êtes la princesse Alys, n’est-ce pas ? C’est un honneur de vous rencontrer. Je suis Kaito, chef des Epées glacées, et je fais de vous mon otage.

    Chapitre 5 >>

     


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  • Meiko, jeune femme brune au tempérament bien trempé, dirigeait les cuisines du château de Miginnie. Bien qu’elle était de nature sympathique et généreuse avec ses proches, elle était principalement connue aux cuisines pour sa sévérité et son sens aigu de l’excellence. Elle se faisait un devoir de toujours présenter des plats chauds, succulents, et agréables à la vue à la cour royale. Quiconque sous ses ordres commettait une erreur se faisait durement réprimander. Après tout, la réputation de la Reine Luka passait aussi par les plats qu’elle partageait avec ses convives, et Meiko ne pouvait laisser passer la moindre imperfection. Pour l’heure, le service du midi était terminé et la pression dans les cuisines était retombée. La jeune chef cuisinière s’asseyait sur une chaise à l’écart pour se permettre une pause lorsque Yukari, la jeune servante de la reine, la rejoignit discrètement.

    - Ah, Yukari, s’exclama la brune en la reconnaissant, un petit sourire étirant ses lèvres. Que me vaut ta visite ?
    - Aurais-tu un peu de temps pour discuter maintenant ? J’aimerais te poser quelques questions.

    Meiko désigna d’un signe de tête les hommes à la vaisselle. Après l’agitation qui avait régné pendant l’heure de table, avec le vacarme de la préparation des plats, les cuisiniers qui se pressaient pour que la synchronisation soit parfaite, et les ordres criés par-dessus tout, la cuisine paraissait maintenant bien calme.

    - Le service est terminé, tu as toute mon attention.
    - Je me demandais si tu connaissais une certaine Mizki. Je suis, euh, tombée par hasard sur ce nom.

    Meiko travaillait depuis longtemps au château, elle y connaissait pratiquement tout le monde, de plus sa place aux cuisines lui permettait de connaître la plupart des noms des invités de passage. En plus de bien s’entendre avec la jeune servante, elle raffolait tout autant des ragots, partageant souvent avec elle les conversations qu’elle surprenait entre deux services. Si il y avait bien une personne à qui Yukari pouvait parler du nom trouvé dans la lettre destinée à la Reine et espérer en tirer des réponses, c’était bien à elle qu’elle devait s’adresser. Et elle ne s’était pas trompée. Si elle avait craint que son amie ne l’interroge suspicieusement sur comment elle avait appris son existence, elle s’était visiblement inquiétée pour rien car Meiko ne montra aucun signe de surprise.

    - Mizki ? Ce n’est pas étonnant que tu aies entendu parler d’elle. Il s’agissait de la meilleure amie de la Reine Dalya. Tu ne connais vraiment pas son histoire ?

    Yukari secoua la tête et Meiko l’invita à s’assoir près d’elle, ce qu’elle fit sans se prier, impatiente d’en apprendre plus sur l’histoire derrière cette lettre.

    - Comme tu le sais, la Reine Dalya, épouse du Roi Edwin, mourut en donnant naissance à son premier enfant. Mizki, sa meilleure amie, se tenait auprès d’elle durant l’accouchement. Sachant qu’elle ne survivrait pas, la Reine lui a demandé dans un dernier effort de veiller sur son enfant. Il faut savoir que Mizki avait elle-même enfanté quelques jours avant ce triste incident, ce qui avait d’ailleurs réjoui les deux jeunes futures mamans, qui avaient imaginé leurs enfants grandir et jouer ensemble. Effondrée, Mizki accepta bien sûr et se proposa pour remplacer la mère défunte à l’allaitement du jeune héritier. Né trop faible et pour éviter les risques, l’enfant ne fut pas présenté au peuple avant qu’il ne prenne des forces. Mizki s’isola avec lui et son propre enfant, fit tout son possible pour s’occuper de lui, mais malheureusement, tu connais l’histoire, l’enfant ne survécut pas. Personne ne revit Mizki qui, sans doute honteuse d’avoir failli, s’était enfuie du château.

    Les pensées de Yukari se bousculaient dans sa tête. Incapable de se retenir, prise d’excitation, elle révéla le contenu de la lettre destinée à la Reine Luka, ses recherches pour retrouver la jeune femme, mais également les deux nouveau-nés.

    - Comprends-tu ce que cela signifie ? Conclut-elle avec agitation. Mizki s’est enfuie avec deux enfants. Le sien, et l’héritier ! L’héritier est vivant, c’est pour cette raison que la Reine le recherche !

    Meiko, bien que troublée par cette histoire, ne partagea pas son enthousiasme et secoua la tête en signe de négation.

    - Tu oublies un détail. Le nouveau-né est bel et bien mort. Son corps a été découvert dans le berceau lorsque Mizki s’est enfuie. Il a été enterré auprès de sa mère.

    La jeune servante dût bien admettre qu’elle n’expliquait pas la présence du corps, mais elle ne se démonta pas pour autant.

    - C’est vrai. Mais reconnais que l’acharnement de la Reine pour retrouver une femme et des enfants disparus il y a des années est suspect.

    Meiko hocha simplement la tête en fixant son amie d’un air pensif.

    - Yukari… L’héritier est mort, tu le sais n’est-ce pas ? Mort il y a des années. Et nous sommes tous satisfaits de la Reine Luka. Je comprends ta curiosité, mais je pense que tu devrais rester en dehors de cette histoire. Nous ne devrions pas être au courant de ceci, alors fais attention s’il te plait. N’en parle à personne d’autre.

    Yukari l’accepta, mais intérieurement, elle réfléchissait déjà à plusieurs théories. Ce ragot était trop gros pour le laisser passer, elle voulait connaitre le fin mot de cette histoire. Peut-être le corps trouvé était-il celui d’un troisième enfant ? Oui, sa première étape serait de se renseigner sur les accouchements de cette période. Malgré sa promesse à Meiko, la perspective de prouver que l’héritier avait peut-être survécu prit le dessus sur toute prudence.

    ***

    Alys pleurait. Pourquoi, elle ne s'en souvenait plus. Elle se trouvait au beau milieu d'un champ de fleurs aux couleurs printanières, mais elle ne s'en rendit compte que lorsque Satou lui releva le menton pour la forcer à la regarder.

    - Ne pleurez pas, Princesse, je suis là.

    Elle sortit un mouchoir en tissu et essuya avec tendresse les yeux de la jeune enfant. Les rayons de soleil entouraient la silhouette de Satou de couleur miel et dorée, soulignant sa beauté et rendant la scène apaisante. Pourtant, la jeune princesse n’en ressentait qu’une douloureuse nostalgie.

    - Ne me laisse pas, pleurnicha Alys. Jamais.
    - Jamais, approuva-t-elle. C'est mon devoir en tant que servante de rester à vos côtés, Princesse.

    Le champ de fleurs disparaissait de plus en plus, mais Alys ne voulait pas partir. Elle voulait encore voir le sourire de Satou, et ne pas penser à la douleur qui lui transperçait le coeur et la tête. Mais les détails du rêve continuaient de se dissiper au plus elle tentait de les retenir, comme l'eau glissait inexorablement entre les doigts, et ses yeux finirent par s'ouvrir. Elle se trouvait à présent sur un cheval. Mais ses poignets étaient ligotés, et elle était allongée par-dessus la bête, ses jambes pendant d'un côté, sa tête douloureuse de l'autre. Elle n'avait pas envie de se souvenir, mais elle ne put s'en empêcher.

    Satou est morte. Mes autres servantes aussi sans doute, ou pire.

    Et maintenant, elle se trouvait prisonnière des brigands, les célèbres Sans-Cœurs qui ne se faisaient pas surnommer ainsi sans raison. Elle n'osait imaginer ce qu'ils allaient faire d'elle. La douleur à la tête la fit gémir, révélant à ses ravisseurs qu'elle était éveillée, et elle remarqua qu'elle était bâillonnée.

    - Eh, elle bouge ! Fit la voix du cavalier qui la tenait.

    Un cheval s'approcha d'elle, et elle osa relever la tête, malgré la douleur. Les rayons du soleil l'éblouirent un instant, aggravant son mal de tête, puis elle discerna les traits... d'un gosse. Un gosse monté sur un cheval et armé, mais un gosse tout de même. Ses cheveux verts étaient sales et auraient bien besoin d’être raccourcis et coiffés. Il portait une cotte de maille sous une plaque en métal et des spalières qui lui protégeaient le cœur et les épaules, mais le reste était plutôt à découvert. Une tenue typique de brigands, qui s’armaient d’éléments volés à leurs victimes. D’un côté pendait son épée qui semblait un peu grande pour lui, et de l’autre, une dague était attachée à sa ceinture.

    - Merci mon Dieu, lâcha le jeune garçon. J'ai bien cru que tu l'avais tuée. Il ne fallait pas frapper si fort !
    - Si je ratais mon coup, elle aurait crié, et elle aurait tout fait rater !
    - Si tu l'avais tuée, non seulement on pouvait dire adieu à la rançon, mais en plus on aurait été pourchassés par tout le Royaume !
    - Oui bon, elle va bien, alors on s'en fout si j'ai frappé un peu fort.

    Pendant qu'ils discutaient, Alys observa autour d'elle autant que sa position ne lui permettait. Elle dut bien se rendre à l'évidence, ses ravisseurs n'étaient que deux. Or, il était impensable que ses chevaliers aient été défaits par deux gosses. En effet, le deuxième ne semblait pas plus âgé que le premier, bien qu'elle ne pouvait l'observer sans risquer de se rompre le cou.

    - Voilà la rivière, annonça le cavalier qui chevauchait à leurs côtés. Arrêtons-nous, je vais lui changer le bandage.
    - Est-ce vraiment nécessaire ? On ferait mieux de continuer avant que ses chevaliers, ou les Sans-Coeurs, ne nous rattrapent.
    - C'est la Princesse ! Kaito dit toujours qu'il faut bien traiter les otages précieux, pour éviter le risque de représailles.
    - ... Bien. Mais dépêche-toi.

    Les chevaux s'arrêtèrent, et Alys fut descendue maladroitement du cheval. Ses jambes étaient en coton, et une fois ses poignets libérés, elle dût prendre appui sur le gosse aux cheveux verts pour rejoindre la rivière. Il était plus petit qu'elle, devait avoir entre douze et treize ans et n'avait rien de franchement menaçant, étant plutôt gringalet. Il la fit s'assoir, puis retira le bandage en tissu qu'elle portait sur la tête.

    - Je vais retirer votre bâillon, Votre Altesse, prévint-il. S'il vous plait, ne criez pas, vous n'attireriez pas d'aide mais d'autres brigands...

    Alys hocha la tête pour accepter, et le bâillon fut retiré. Le garçon mouilla le bandage dans la rivière pendant que l'autre ravisseur laissait les chevaux s'abreuver. Pendant un instant, elle crut voir double. Le deuxième gosse était la réplique parfaite du premier.

    Des jumeaux, conclut-elle. Mais ils sont si jeunes pour se promener seuls en forêt... Et pour enlever une princesse.

    Le deuxième garçon dût se sentir observé car il croisa son regard. Il la dévisagea d'un air mauvais quelques instants, avant de se concentrer à nouveau sur les chevaux. Celui près d'elle se montra plus agréable, soignant délicatement sa blessure. Après qu'il eut refait un bandage maladroit sur sa tête, l'eau adoucissant la douleur, l'autre frère, semblant décidément plus râleur, les pressait de remonter à cheval pour partir au plus vite. Au moins, cette fois, il laissa Alys s'assoir devant lui, dans une position plus digne pour une princesse. Ils repartirent en empruntant la rivière, sans doute pour brouiller les pistes, l’eau assez basse pour ne pas gêner la progression des montures.

    - Qui êtes-vous ? Interrogea Alys pour en apprendre plus sur ses ravisseurs, et peut-être leurs intentions.
    - Des hommes de Kaito, répondit le râleur, bien que "hommes" ne leur convenait pas vraiment.
    - Je suis Roku, Votre Altesse, et c'est mon frère Kyuu. Nous avons fait de vous notre otage. Mais n'ayez crainte, nous n'avons aucune intention de vous faire du mal.

    Alys grimaça, mais il n'y avait rien de surprenant. Les personnes de haute naissance faisaient souvent des otages très prisés. Elle connaissait le bandit Kaito de nom, son père avait déjà dû négocier avec lui.

    - Il y avait tant de brigands, remarqua-t-elle. Pourquoi n'êtes-vous plus que deux ?
    - Oh, nous n'étions pas avec eux ! Répondit le dénommé Roku. Il s'agissait des Sans-Coeurs, nous, nous faisons partie des Epées Glacées. Nous avons assisté à l'attaque de loin, et lorsqu'on vous a vu seule, on a sauté sur l'occasion.
    - Y a-t-il... des survivants ? Avez-vous vu si mes servantes...
    - Celle devant le carrosse est la seule qui est morte, à ce moment-là du moins, répondit Kyuu sans une once de délicatesse ou de compassion. Deux des brigands se la sont disputée, et un coup d'épée mal contrôlé a réglé le problème. Les autres ont été enlevées. Elles seront soit revendues, soit ils sont déjà en train de se les...
    - Kyuu, arrête !

    Le dénommé Kyuu n'avait rien remarqué, mais son frère la dévisageait d'un air inquiet. Elle essaya de se retenir, pour rester digne devant ses ravisseurs, mais les larmes se remirent à couler sur ses joues malgré elle. Les chevaux quittèrent le lit de la rivière, et la suite du voyage se poursuivit en silence, seulement ponctué par le bruit des sabots et les sanglots de la jeune fille.

    Les jumeaux ne s'arrêtèrent que pour la nuit. Ils improvisèrent un campement parmi les arbres, laissant leurs couvertures pour leur otage. Les nuits étaient froides, et ils avaient intérêt à ramener la Princesse en bonne santé. Ils prirent même le risque de faire un feu. Kyuu partit chasser, Roku gardant un oeil sur leurs affaires et leur prisonnière. Ils n'avaient plus échangé un mot, et ce silence pesait encore plus pour Alys qui ne pouvait que ressasser d'horribles images, certaines réelles, d'autres sorties de son imagination, sans être moins plausibles pour autant. Elle ne voulait ni manger, ni dormir, ni rien faire. Ses larmes avaient cessé de couler, mais la douleur et la tristesse étaient toujours présentes. Roku évitait son regard, même si à quelques reprises, elle crut qu'il allait rompre le silence, mais il se ravisa à chaque fois.

    - Kyuu en met du temps, finit-il enfin par dire.

    En réalité, il n'était pas parti depuis si longtemps que ça, mais l'ambiance au campement devait lui faire paraître le temps plus long. Alys soupira, et accepta de tenter de converser pour passer le temps.

    - Quel âge avez-vous ?
    - 14 ans. C'est Kyuu, l'ainé.

    Alys eut une pensée pour son ainé à elle, Syla. Et lui, pensait-il à elle ? Il devait être à mille lieues de s'imaginer ce qu'elle endurait. En tout cas, elle fut surprise d'apprendre qu'ils étaient si âgés, ils ne faisaient pas leur âge.

    - Comment se fait-il que vous parcourez la forêt tous seuls ? C'est si dangereux...
    - Nous étions en groupe, mais nous nous sommes faits attaquer. Kyuu et moi sommes restés en retrait, pour permettre aux autres de s'enfuir.

    Quelque chose dans son regard fit comprendre à Alys qu'ils n'avaient pas dû être si volontaires que ça pour rester en retrait.

    Les autres les ont laissés en appâts, comprit-elle. Comme Takahashi a laissé mes servantes...

    - Et comment vous vous en êtes sortis ?

    A ce moment, Kyuu revint avec un lapin qu'il balança sur les genoux de son frère.

    - Tu t'en occupes ?

    Roku grimaça. Visiblement, l'idée de dépecer l'animal ne le charmait pas. Il s'éloigna néanmoins pour se mettre au travail, oubliant la question de la princesse. Cette dernière ne put s'empêcher de penser que Kyuu avait ainsi délibérément éloigné son frère d'elle. Mais pourquoi ? Pour qu'il ne réponde pas à cette question en particulier, ou pour qu'il ne sympathise pas avec elle ? En tout cas, que ce soit à cause de sa manière de lui parler ou de la regarder, elle en était persuadée, l'ainé ne l'appréciait pas, et cette attitude désagréable sans raison apparente commençait à l'agacer. Elle détourna le regard pour ne pas les voir préparer le lapin, jusqu'à ce que Kyuu revienne vers elle.

    - Désolé, lança-t-il d'un ton qui n'en avait pas l'air lorsqu'il lui tendit sa part de pain et de lapin. Ce n'est sans doute pas aussi luxueux que ce que vous mangez d'habitude, mais c'est tout ce qu'on a.

    Alys grimaça un peu en observant son morceau de lapin. D'habitude, ses plats étaient préparés de sorte que la viande ne paraissait pas si... fraichement arrachée à l'animal. Elle grignota quelques bouts du bout des dents, regrettant en plus qu'elle ne soit pas assaisonnée, mais la faim prit le dessus et elle se surprit à aller jusqu'à ronger l'os. Le pain, lui, était dur et difficile à mâcher, mais elle l'avala sans se plaindre. Elle avait l'impression que Kyuu n'attendait que ça pour lancer une pique en retour, et elle ne lui donnerait pas ce plaisir.

    - Au moins, vous n'êtes pas une otage trop difficile, finit par conclure l'ainé des jumeaux. J'espère que vous n'oublierez pas d'informer le Roi que nous vous avons très bien traitée.
    - Vous ne craignez pas que le Roi refuse de marchander avec deux gosses ?
    - On... On n'est plus des gosses ! Se vexa aussitôt Kyuu. On est déjà un homme à quatorze ans ! On a déjà du sang sur les mains, et... et...
    - Tu as déjà connu l'amour d'une femme ? L’interrompit la Princesse, exaspérée par son attitude et bien décidée à le remettre un peu à sa place.

    Sa question prit le jeune garçon de court, et il la dévisagea, surpris.
    - Je prends ça pour un non, reprit Alys.

    Elle commençait à douter qu’ils aient même jamais combattu, et cela se voyait dans leurs attitudes maladroites qu'ils n'avaient jamais eu à porter de lourdes responsabilités. Quand elle repensait à Syla à quatorze ans, à sa carrure, à tout ce qu'il avait déjà accompli à cet âge... Et maintenant, Kyuu boudait, ce qui ne l'aidait pas à paraître plus mature.

    - Hum... De toute façon, on vous emmène auprès de Kaito, c'est lui qui s'occupera de l'échange, lui apprit Roku.

    Alys hocha la tête. Voilà donc où ils l'emmenaient. Elle avait cru qu'ils se dirigeaient vers le château, mais ils devaient s'en éloigner, s'enfonçant dans la forêt à la recherche de ce Kaito. Ce qui voulait dire qu’elle ne serait pas rentrée chez elle avant un bon moment...

    La nuit déjà avancée, Alys se glissa sous les couvertures qu’elle avait reçues, près du feu. Si elle voulait s'échapper, ce serait le moment idéal. Elle pensait être capable d'assommer le jumeau qui aurait son tour de garde pendant que l'autre dormait, et il lui suffisait ensuite de partir au galop à cheval... Une fois qu'elle serait entre les mains de Kaito, il serait trop tard. Même si il était dangereux de partir seule, elle ne pensait pas non plus que les jumeaux pourraient garantir sa sécurité en cas d’attaque. Oui, tout la menait à croire qu'elle devait s'échapper maintenant. Mais elle ne pourrait pas. Elle avait peur, tout simplement. Peur que les jumeaux la neutralisent lorsqu'elle passera à l'action, qu'ils la blessent avec leurs armes. Peur de partir seule dans la nuit, d’être seule tout simplement. Elle se sentait faible et, abandonnant l’idée de partir, elle ferma les yeux pour tenter de dormir un peu.

     

    Chapitre 4 >>


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  • Retrouvez ici une rapide présentation des personnages par chapitre (pour éviter le spoil), ainsi que les correspondances avec les chanteurs virtuels.

    Chapitre 1 :

    - Alys :

    Princesse d'Edior, soeur cadette de Syla. Fiancée au prince Kyo.

    Chanteur virtuel : ALYS

    - Syla :

    Prince héritier d'Edior, frère ainé d'ALYS.

    Chanteur virtuel : Genderbend d'ALYS.

    - Kyo :

    Prince héritier de Katenze. Fiancé à Alys.

    Chanteur virtuel : Kyo de ZOLA Project.

    - Satou :

    Servante et meilleure amie d'Alys.

    Chanteur virtuel : Satou Sasara (CeVio)

    - Takahashi :

    Chevalier du royaume d'Edior.

    Chanteur virtuel : Takahashi (Cevio)

    Chapitre 2 :

    - Yukari :

    Servante de la Reine Luka.

    Chanteur virtuel : Yuzuki Yukari

    - Luka :

    Reine de Miginnie, épouse du défunt roi Amin.

    Chanteur virtuel : Megurine Luka

    - Dalya :

    Précédente reine de Miginnie. Est décédée lors de la naissance de son premier enfant, qui ne survécut pas.

    Chanteur virtuel : /

    - Edwin :

    Ancien roi de Miginnie. Est décédé lors d'une bataille, ne laissant aucun héritier direct.

    Chanteur virtuel : /

    - Amin :

    Ancien roi de Miginnie, frère cadet d'Edwin. Il a hérité du trône à la mort de son frère ainé. Epoux de Luka. Décédé, la cause de sa mort n'est pas encore connue dans l'histoire.

    Chanteur virtuel : /

    - Yuuma :

    Chevalier du royaume de Miginnie. Envoyé par la Reine Luka à la recherche d'une femme, Mizki, qui portait deux nouveaux-nés.

    Chanteur virtuel : VY2

    - Suzuki, Kasumi et Airi :

    Servantes personnelles d'Alys.

    Chanteurs virtuels : Suzuki Tsudumi, Midorizaki Kasumi et Kizaki Airi (CeVio)

    Chapitre 3 :

    - Meiko :

    Chef cuisinière au service de la reine Luka, bonne amie de Yukari.

    Chanteur virtuel : Meiko

    - Mizki :

    Meilleure amie de la reine Dalya, elle a enfanté à la même période qu'elle. Portée disparue.

    Chanteur virtuel : VY1 Mizki

    - Kyuu et Roku :

    Jeunes jumeaux brigands, appartenant au groupe de Kaito, les "Epées glacées".

    Chanteurs virtuels : Genshine Kyuu et Roku (UTAU)

     

    Chapitre 4 :

    - Inda :
    Soeur de Mizki.

    Chanteur virtuel : /

    - Kaito :
    Brigand, chef du clan "Les épées glacées".

    Chanteur virtuel : Kaito

    Chapitre 5 :

    - Yohio :
    Brigand du clan "Les épées glacées", second de Kaito.

    Chanteur virtuel : Yohioloid.

    - Gakupo :
    Brigand du clan "Les épées glacées".

    Chanteur virtuel : Gackpoid : Kamui Gakupo.

    - Shirosaki :
    Brigand du clan "Les épées glacées".

    Chanteur virtuel : Shirosaki Yuudai (CeVio).

     

    Chapitre 6 :

    - Miku :
    Princesse de Voline. Petite soeur de Mikuo, l'héritier de Voline.

    Chanteur virtuel : Hatsune Miku.

    - Rin :
    Servante et meilleure amie de Miku. Soeur jumelle de Len.

    Chanteur virtuel : Kagamine Rin.

    - Len :
    S'entraine pour devenir le garde du corps de Miku, il est également son meilleur ami. Frère jumeau de Rin.

    Chanteur virtuel : Kagamine Len.

    - Maika :
    Capitaine de l'armée de Katenze.

    Chanteur virtuel : Maika.

    - Leora :
    Seconde de Maika.

    Chanteur virtuel : Leora (Alter/Ego).

    Chapitre 7 :

    - Will et Yuu :
    Gardes du corps de Kyo (le prince de Katenze).

    Chanteurs virtuels :  Will et Yuu (project Zola).

     

    Chapitre 9:

    - Mikuo :
    Roi de Voline. Grand frère de Miku.

    Chanteur virtuel :  Genderbend d'Hatsune Miku.


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